vendredi, janvier 26, 2007
En quête du spectateur (1/12) Dites "a"
En quête du spectateur (1/12) Lundi 10 juillet 2006 - 06:00
Dites «A» ! QUOTIDIEN :
«Festiv/a/l», «festiv/a-a/l», «festiv/ale/»... Qui prononce quoi ?
Par Emmanuel ETHIS, Jean-Louis FABIANI, Damien MALINAS
Tous les jours, des sociologues de l'université d'Avignon proposent un miniportrait sur le vif des publics du festival.
Emmanuel Ethis (université d'Avignon), Jean-Louis Fabiani (EHESS-Fellow au Wissenschaftskolleg zu Berlin) et Damien Malinas (université d'Avignon), sociologues
Dans la ville de province par excellence qu'est Avignon, on peut se livrer au moment le plus fort du festival, à une petite expérience d sociolinguistique amusante. Alors que la manifestation brasse une grand diversité de populations au coeur de juillet, il vaut la peine d'analyser le manières de prononcer un mot aussi commun que «festival». L'évidenc s'impose très vite. Tout le monde ne prononce pas le «a» de «festival» de l même manière. On entend simultanément : «festiv/a/l», «festiv/a-a/l», «festiv/hall/» ou (plus provençal) «festiv/ale/»
Allongement tendanciel. Que nous révèlent ces façons de dire ? Y aurait-il, au sein du festival, des groupes identifiables par leur prononciation ou leur intonation ? Prononce-t-on de manière différente la dernière syllabe du mot selon qu'on est dans le in et dans le off ? Des facteurs autres que l'origine géographique et l'appartenance sociale sont-ils en jeu dans la manière de faire plus ou moins traîner le «a»? Quelle est la signification de son allongement tendanciel? Peut-on imiter une façon de dire «festiv/a-a/l» pour avoir l'air d'appartenir à un groupe plutôt qu'à un autre et masquer son ancrage social véritable ? Existe-t-il un conflit de reconnaissance mutuelle entre festivaliers inhérent aux prononciations du mot ? Ces façons de dire ont-elles pour fonction de légitimer la valeur que l'on accorde à des pièces, à des attitudes ou à des styles ?
Il n'existe pas de réponse catégorique à toutes ces questions : il serait ridicule de vouloir diviser l'univers des festivaliers en groupes «réels» (Vauclusiens contre Parisiens, «professionnels» de la culture contre amateurs pétris de bonne volonté, etc.). Néanmoins, une chose est remarquable : pendant très longtemps, on a décrit le Festival d'Avignon comme «un festival parisien». Or, les données produites par l'ensemble des enquêtes sur les publics d'Avignon montrent que les locaux ou régionaux sont majoritaires en nombre. Mais ce réajustement statistique ne parvient pas totalement à corriger l'impression que la manière parisienne de prononcer le mot «festival» continue de dominer l'ensemble des discours.
En réalité, et ce n'est pas rien, les Parisiens représentent en moyenne 23 % du public et en constituent la troisième fraction la plus importante. Il faudrait aussi s'attacher plus longuement à décrire ce qu'est être parisien : mais ceci est une autre histoire. Les habitants de la capitale sont loin d'être les seuls à conférer au festival sa couleur sonore. Mais il est vrai qu'on y parle le plus souvent «pointu».
Déstabilisation. C'est ainsi qu'un phénomène étrange transforme une partie des publics locaux et régionaux : à l'oreille de leurs voisins comme à celle des touristes, ils ne sont soudainement plus du «coin» et l'on peut entendre fréquemment des «Ah bon, tu es avignonnais ?», qui témoignent de cette déstabilisation langagière. On remarque aussi que le festival demande à ses participants, y compris avignonnais, d'éprouver un sentiment d'étrangeté, de dépaysement ou d'exotisme, à l'égard de la ville linguistiquement transformée.
Style unique. Le festival a sédimenté au cours du temps des manières de parler et des façons de s'aborder, au café ou dans les files d'attente qui ont donné, peut-être autant que la programmation, son style unique au festival. Un véritable lexique de l'action culturelle s'y est constitué : «décentralisation», «démocratie culturelle», «théâtre public»,» institutionnel», «alternatif», «in», «off», «off-off», «hors champ» sont devenus des termes familiers ; autant de lieux de mémoire langagiers qui s'apparentent aux espaces théâtraux ou au souvenir de soirées héroïques. Le Festival d'Avignon est toujours bien autre chose que de simples soirées théâtrales : il est le lieu d'élaboration, par des acteurs très divers et souvent anonymes, d'une configuration politico-culturelle dont il n'est pas d'autre exemple.
Pour approfondir la rencontre avec les spectateurs qui «font» le festival, nous nous proposons de redécouvrir chaque jour, avec le regard du sociologue, un portrait de festivalier, un sociogramme instantané sur ces manières singulières, non seulement de dire «a», mais de vivre une relation particulière à Avignon.
POUR ACCÈDER AUX SOCIOGRAMMES ET AUTRES MINI PORTRAITS SOCIOLOGIQUES, VOUS POUVEZ CONSULTER LES ARCHIVES DE LIBÉRATION http://www.liberation.fr/dossiers/avignon2006. UNE PREMIERE VAGUE DE PORTRAITS DE SPECTATEUR AVAIT ÉTÉ ÉTABLI EN 1996, DÉJÀ POUR LIBÉRATION : ILS ONT ÉTÉ RASSEMBLÉS DANS L'OUVRAGE DIRIGÉ PAR EMMANUEL ETHIS Avignon, le public réinventé, le festival sous le regard des Sciences Sociales (La Documentation française, 2002.
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