jeudi, mai 31, 2007

Publiquement blonde








Entrée « public »

Entrer dans le monde du Festival d’Avignon par la porte des publics ne doit pas seulement être lu comme une réponse circonstanciée et propre au Festival d’Avignon. Plus généralement, la sociologie de la culture pose la question des formes de la culture via le champ, le marché ou encore le monde selon que l’on centre son analyse sur des créateurs, des institutions, des publics. Ceci implique, d’une part, de poser les termes pratiques de l’entrée par les publics pour analyser le Festival d’Avignon et, d’autre part, le fait que le festival définissant une forme à part entière, un paradigme ou plus justement son propre dispositif, il met à mal et éprouve les outils des sciences sociales généralement rôdés sur des institutions ou des équipements culturels urbains traditionnels, ou du moins plus stabilisés.

Un point d’achoppement des différentes entrées possibles dans le festival est le rapport entre la manifestation officielle créée par Jean Vilar – le « In » - et la manifestation que l’on décrit généralement comme un marché où viennent ceux qui désirent et qui ont les moyens de venir – le Off -. Et dans bien des discussions régulièrement entendues au cours de chaque édition du festival, un type de raisonnement se dégage qui ressemble au schème présent dans l’interaction suivante :

« Vern :Tu crois que Mighty Mouse, il pourrait battre Superman ?
Teddy : Hé, t’es barge !
Vern : Pourquoi ? Je l’ai vu l’autre jour, il portait cinq éléphants dans la main droite.
Teddy : Vern ! Oh ! Toi, t’y connais rien : Mighty Mouse, c’est un dessin animé, Superman, c’est un mec en vrai. Jamais un cartoon ne pourrait battre un mec en vrai.
Vern : Ouais, pas bête au fond. Belle bagarre ! Remarque, non ? »

Dans ce dialogue cinématographique issu du film de Rob Reiner, Stand by me , Vern et Teddy, deux adolescents, de façon tout à fait rationnelle, mesurent l’un à l’autre leur héros respectif grâce à des critères qui autorisent la comparaison – capacité, genre, vérité -, seulement, ils aboutissent à la conclusion que les héros ne ressortent pas d’une même nature. Des différences entre le « In » et le Off, il y en a des historiques, des organisationnelles, des idéologiques au niveau des acteurs, des systèmes de production, de la communication et, Vern a raison de dire « Belle bagarre ! » Du « In » ou du Off, y a-t-il une entrée plus appropriée pour décrire le festival dans son ensemble ? Oui, si l’on a en tête de postuler la prééminence de l’un sur l’autre et que l’on s’essaie, comme Vern et Teddy, à estimer qui devrait rester s’il n’en restait qu’un.

Car la question qui ressort chaque année, et plus encore à chaque crise institutionnelle, est bien celle du maintien du festival – du “In” comme du Off - dans ses formes. Ceci peut se décrire avec les mots du “désordre rituel”, comme le fait Denise Lawrence, quant à ce qui se joue chaque année lors de la Doo Dah Parade : “Ritual disorder in modern society is problematic because, although ritual processes are similar (than preliterate societies) because the forms they take in complex societies are not easily identified. Some argue that tribal rites of rebellion cannot be maintained in complex and highly fragmented modern societies because they are too threatening to the social order and those in power. When aspects of ritual and symbolic disorder are institutionalized, however, they represent a process of transition from collective spontaneity to social structure. Turner exemplifies one approach in his definition of normative communitas : “the attempt to capture and preserve spontaneous communitas in a system of ethical precepts and legal rules”” .

Ce désordre rituel du festival n’est pas contradictoire avec le fait que cela soit un même et seul groupe, communitas, qui permet à nos sociétés modernes de gérer le conflit et d’apprendre des règles. Cette enquête postule qu’il y a un seul Festival d’Avignon et prend l’entrée des publics pour étayer cette affirmation. On l’a déjà dit : il ne s’agit pas de proférer un relativisme qui voudrait que tout se vaille par ailleurs. À l’image de leur date de naissance qui ne sont pas les mêmes, le Off des années soixante-dix et le « In » de 1947 sont bien des organisations différentes et posent bien la question de « penser l’efficace externe spécifique des facteurs externes [comme] par exemple le cas des crises révolutionnaires ou l’apparition de nouvelles catégories de consommateurs » . Cependant, comme les anthropologues le font, il s’agit de s’attacher à décrire la complexité du groupe. « L’exigence de description minutieuse de l’activité interprétative des publics est […] une condition du progrès de la sociologie des œuvres : elle se distingue de la sociologie standardisée des consommations culturelles telles que l’appliquent les enquêtes du Ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français, qui se limitent à la mise en rapport de fréquences des pratiques avec des caractéristiques socio-démographiques » .

Qu’est-ce que décrire l’activité interprétative des publics ? Quels sont les signes interprétables de l’activité interprétative des spectateurs et des publics ? Un des premiers signes interprétables de leur activité interprétative qui peut venir à l’esprit sont les applaudissements. On pourrait se contenter de mettre en place un applaudimètre et de recueillir un taux d’applaudissement. On pourrait aussi confronter ces signes d’une activité interprétative à la contrainte préétablie entre l’œuvre et son dispositif de diffusion ; on entend par ici que les mêmes formes de réaction à une œuvre ne prennent pas le même sens selon le dispositif dans lequel elles s’intègrent (festival, théâtre traditionnel, petites salles, salles à très grande capacité, etc.). Dans ses notes de service, Jean Vilar avait, on le constate développer une attention très particulière aux réactions que le public pouvait avoir – notamment ses manifestations par l’entremise des applaudissements -, l’amenant à réfléchir précisément à la question de l’œuvre et du dispositif : « Je voudrais user – encore une fois –de votre bonne amitié pour vous de mander de bien vouloir m’aider à résoudre ce nouveau problème, qui a trait aux rapports public – acteurs. Il s’agit des applaudissements en cours de jeu. Et si je pose en tout premier lieu la question sur le plan des « matinées étudiantes », c’est que peut-être le caractère débridé des applaudissements de notre juvénile et généreux auditoire, autorise plus encore la recherche d’une sorte de règle » .

Applaudir prend des formes des différentes selon les territoires culturels, ne serait-ce que par la durée : un français qui a assisté sur Broadway à la représentation d’une comédie musicale ou encore à un match de Hockey sur glace à Montréal trouvera les applaudissements très courts par rapport aux applaudissements qu’il observera au Festival de Cannes, au Festival d’Avignon, au Moulin-Rouge ou au Stade de France. Expliquer ces différences par l’appartenance territoriale d’une population qui compose un public trouve ses limites dans le caractère international de certaines de ces manifestations qui pourtant, on le constate, définissent elles aussi un diapason temporel des applaudissements plus ou moins longs en fonction du public rassemblé. « Essayons alors – nous dit Paul Veyne dans L’inventaire des différences - de prendre un peu de recul ; essayons de faire de la sociologie, la théorie de tout cela. Car tout cela doit se structurer en cinq ou six concepts, en quelques variables, en un jeu de quelques lois, de quelques tendances ou de quelques contradictions et, tant que je n'aurais pas mis à nu ces articulations, je ne saurai pas ce qu'est vraiment mon événement. D'autres mettront ensuite ces concepts à l'épreuve sur d'autres périodes de l'histoire, feront jouer ces variables pour essayer de réengendrer d'autres événements, éprouveront ces lois pour former un discours cohérent : c'est cela, une science ».

Pour nombre de chercheurs en sociologie et en sciences de l’information et de la communication , un public n’a aucune des propriétés d’un groupe officiel : ni permanent, ni limité, ni coercitif ; il n’a pas fait l’objet d’un travail de définition sociale établissant le statut de qui est spectateur et de qui ne l’est pas (contrairement par exemple au fait d’être « médecin ») ; il doit son existence à un acte participatif et sa survie à la reproduction de cet acte participatif. Il est vrai que la notion de public, tout comme la notion de spectateur, pose, en réalité, les mêmes questions que la sociologie pose à l’individu et à la société à laquelle il appartient : qu’est-ce qu’il y a de social dans l’individu ? Quelle est la part de l’individuel qui entre dans la formation du social ? En ce qui concerne le public et le spectateur ou l’enquêté, on est, par analogie, conduit aux mêmes remarques : quelle est la part collective qui taraude le spectateur ? En quoi les réactions des spectateurs ou des enquêtés peuvent-elles se penser comme l’addition de réactions individuelles qui peuvent donner l’illusion d’une communauté que l’on peut appeler public ?

Ces questions devraient se reposer à nouveaux frais chaque fois que l’on décide de mettre en chantier une étude de public. Si l’on essaie de dresser l’inventaire des différents modes d’approche des publics mis en œuvre dans l’ensemble des travaux existants, on peut répertorier cinq types d’approches. Chacune de ces approches a privilégié un découpage et une accroche particulière des publics de la culture, chacune étant porteuse, en conséquence, d’un mode de production de connaissances qui lui est propre. Tentons de voir comment ces différentes approches pourraient se décliner sur l’exemple des publics du Festival d’Avignon :

- L’étude de son public en tant qu’institution particulière : l’institution « Festival d’Avignon » ;
- L’étude des pratiquants d’un secteur tout entier, le théâtre, le cinéma, par extension : la place du Festival d’Avignon au sein du secteur théâtral en France ;
- L’étude des pratiques d’une strate particulière de la population, cela autorise ensuite le croisement d’une strate particulière et d’une pratique particulière, par exemple : les moins de vingt-cinq ans et la pratique de la Cour d’Honneur ;
- L’étude des réactions de la population à l’offre culturelle d’une ville, d’un quartier, d’une région, Avignon, et par extension, en ce qui concerne l’offre culturelle de la ville d’Avignon et la réaction de sa population, quelle place y tient le Festival ?
- L’étude des pratiques culturelles de l’ensemble de la population française. Cinq mille individus de plus de 15 ans interrogés à leur domicile répartis selon des quotas afin que les variables soient représentatives de toute la nation selon le lieu d’habitation, la profession du chef de famille, son niveau de revenus, d’éducation, etc. On obtient une approche ainsi pour la société française le poids relatif de chaque type de pratiques mesuré en pourcentage : le poids relatif de la pratique festivalière au sein de la pratique théâtrale des français.

Ces enquêtés comportent des limites : la première de ces limites tient au fait qu’elles sont pour la plupart fondées sur des échantillons aléatoires et fondent leur véracité sur des résultats statistiques qui, du fait de leur construction, sont réducteurs : ils mettent en relief l’homogène plus que le divers, ce que nous avons en commun plutôt que ce qui nous différencie et nous laisse très loin de ce que chaque individu vit de sa vie culturelle dans la réalité de sa construction personnelle.

La deuxième limite de ces enquêtes, c’est qu’elles ne permettent pas de saisir finement de quelles manières les pratiques culturelles se métissent avec les pratiques concurrentes en matière de loisir ou comment, plus important encore, elles peuvent ou non résister aux formes de divertissement que certains nomment « anticulturels ».

Enfin, la troisième grande limite de ces enquêtes tient au fait que la plupart d’entre elles n’appréhendent pas les conditions de la réception des œuvres. Notamment en termes de sociabilité, par exemple, 90% des sorties au musée se font accompagnées et c’est un des dispositifs des moins interrogés. On comptabilise de la même façon quelqu’un qui reste une heure ou dix minutes. Cannes nous a montré l’importance de ce qui encadre la pratique et de ce qui fait que l’on le considère comme faisant partie intégrante d’une activité, voire d’une pratique en soi . Inversement, les arts de la rue comme la notion de festival interrogent le minimum requis pour qu’une relation spectateur-œuvre existe ou que le badaud devienne un festivalier. Où se trouve l’essence pour employer d’autres termes qui nous transforme en spectateur et de spectateur en public. Il est que les arts de la rue permettent de reposer des questions limites sur les publics :

- Qui sont les spectateurs ? ou encore Qui sont les festivaliers ?
- Où commence et où finit le public dans l’espace et dans le temps ?
- Ont-ils conscience dans les dispositifs d’interpellation publique d’être sollicités en tant que spectateurs ? en tant que festivaliers ?
- Qu’est-ce qui différencie l’attroupement autour du jongleur improvisé de l’attroupement autour de la voiture écrasée par un piano lâché accidentellement du cinquième étage ?
- Qu’est qui distingue le spectateur et le badaud ?
- Un festivalier est-il un habitant temporaire ?

Comme le social ne se dissout pas à l’aune de l’individu, l’idée de public ne se décompose pas complètement devant celle du spectateur, elle revient chaque fois qu’il s’agit de comprendre l’ « être ensemble » inhérent au statut de spectateur.

Une «fausse blonde» n’est pas une «non brune»

Ces enquêtes produisent des résultats et des données qui permettent de penser une première idée de ce que sont les « pratiques » de la culture (ces « pratiques » sont néanmoins souvent réduites au chiffrage des comportements en termes de fréquentations, laissant souvent de côté le fait qu’une pratique correspond à la fois à une fréquentation et à une représentation de ce que l’on fréquente). Les résultats que ces enquêtes ont produits sont assez largement connus dans le monde de la culture. Toutes ces enquêtes ont confirmé de façon chiffrée l’inégalité d’accès à la culture. Elles ont mis en évidence la corrélation constante entre la nature des formes culturelles proposées par les institutions et les catégories sociales des pratiquants réguliers. Elles ont aussi construit une catégorie étrange pour certains sociologues, la notion de « non-public ». Le « non-public » est une expression apparue dans les débats de politique culturelle de la fin des années soixante. La première trace écrite se trouve la déclaration de Villeurbanne, signée par les directeurs des maisons de la culture et des théâtres populaires le 25 mai 1968. Cette déclaration stabilise et accepte un « non-public » majoritaire dont l’aspiration à la culture ne peut se transformer que par le changement des rapports sociaux. Pour certains, ce constat a servi de première entaille idéologique à la démocratisation culturelle qui a conduit un abandon de la mission sociale de démocratisation au profit de la liberté de création . En 1972, Francis Jeanson précise la notion de « non-public » en spécifiant trois publics : « la clientèle, le public potentiel (public placé dans des conditions objectives d’accès à la culture) et le « non-public » (public qui n’est pas placé dans ces conditions d’accès, regroupant les « mystifiés » occupés à d’autres consommations, et des groupes « refusant l’intégration à la société », notamment « les jeunes ») ».

La bizarrerie conceptuelle de cette notion réside dans le fait de penser le non-public en fonction du public comme si l’on pense la non-tomate ou le non-rôti au regard la tomate ou du rôti. Muriel Robin dans un sketch intitulé « le peintre » s’adresse à son mari artiste peintre qui vient de faire un portrait de sa non-présence « Va dans la cuisine et regarde bien au milieu, il y a un non-rôti ». Le public est une catégorie spécifique qui ne peut définir le non-public. Comme « la fausse blonde est une catégorie spécifique, un style à part. Ce que n’est pas la fausse brune. La fausse brune est d’ailleurs improbable, on ne lui voit pas de raison de l’être. Elle ne crée pas l’événement comme peut faire une fausse blonde, qui a choisi sa couleur dans ce seul objectif. Donc la teinture ne scandalise qu’à sens unique ».

Cependant, conquérir le « non-public » est devenu le mot d’ordre affiché du monde culturel depuis trente ans. Pourtant, l’ensemble des mesures prises sur les plans de la multiplication de l’offre, des politiques tarifaires, de la décentralisation, que de l’accroissement de la diffusion, semblent ne pas avoir suffi pour réduire les inégalités face à la culture. C’est du moins ce que toutes les enquêtes de public tendent à démontrer. Devant ce constat, sans cesse renouvelé, de l’échec de la démocratisation culturelle, les conditions d’appropriation des œuvres et l’adaptation permanente de méthodes de médiation affinées et nombreuses restent les facteurs les plus fiables de transformation des publics face à d’autres leviers plus évidents cités plus haut.

Un lieu d’expérience n’est pas
forcément un laboratoire

« Jean Vilar et le Théâtre National Populaire vous adressent leurs très bons vœux pour l’année 1955 et vous informent : À partir du 2 janvier 1955 que les ouvreuses –directement appointées par le TNP- refuseront tout pourboire et que les vestiaires et lavabos seront gratuitement assurés . […] Je lis dans un questionnaire-spectateurs : « Le pourboire étant interdit, les ouvreuses semblent ses désintéresser un peu du spectateur et l’abandonner même à son sort loin de sa place, qu’il doit chercher seul ». Je ne puis croire cela. (…) Et vous devez accompagner le spectateur jusqu’à sa place comme vous le faisiez avant, et le faîtes pour les « Galas » » .

En arrivant au TNP situé alors au Théâtre de Chaillot, en 1951, Jean Vilar met en œuvre un exemple de « médiation fine » avec la suppression des pourboires et des vestiaires payants : il ne doit plus y avoir, selon lui, celui qui peut et celui qui ne peut pas. La suppression des pourboires et des vestiaires payants est suivie de toute une série de mesures du même ordre : la gratuité des programmes, le début du spectacle à vingt heures au lieu de vingt et une heures pour pouvoir profiter à plein des transports en commun.

L’évidence de l’intérêt de la suppression des pourboires doit se mesurer au regard de l’accueil humain par les ouvreuses. De la même manière, les programmes distribués « avant le spectacle » doivent accompagner le spectateur dans sa compréhension de l’œuvre et, de ce fait, ils deviennent gratuits et abandonnent leur caractère luxueux avec de belles et grandes photographies des comédiens pour afficher plus de textes et d’information. Pour mesurer le travail d’affinement par ces petites médiations opéré par Jean Vilar, on peut aller à Broadway où les anciennes pratiques perdurent, tout comme c’est aussi le cas dans certains théâtres privés parisiens ou encore, dans les revues du Moulin-Rouge.

Certains ont interprété ce travail de démocratisation culturelle institué par Jean Vilar comme le synonyme d’une désacralisation du théâtre : moins impressionnant dans son dispositif « d’apparat », le théâtre deviendrait ainsi plus accessible. Or, le travail d’ouverture du théâtre aux différents publics se joue bien sur des médiations fines inscrites dans une volonté d’égalisation progressive des conditions d’accès à la culture. Rogner sur le caractère intimidant du dispositif d’accès au théâtre – tel qu’il est pensé dans les rituels du théâtre bourgeois des années 1930 - ne doit se faire qu’à la marge dans la mesure où chaque tentative de médiation doit être éprouvée . Si à l’épreuve certaines opérations de médiation affaiblissant le dispositif s’avèrent opératoires, elles semblent n’être jamais suffisantes. Sur un autre plan, lorsque certaines de ces dispositions vers les publics sont employées avec plus de bonne conscience et une véritable bonne volonté qu’un véritable souci d’efficacité, elles prennent le risque d’amoindrir le sens accordé à la valeur de la pratique théâtrale chez l’ensemble des spectateurs. La question que pose toute politique culturelle, tendant à faire se côtoyer des publics différents afin qu’ils se délectent d’un même spectacle , consisterait sans doute, en définitive, à interroger le sens des valeurs que les uns et les autres ont en commun. Là encore, c’est un écueil sur lequel buttent parfois l’observation et l’analyse des publics de la culture. Et, comme le souligne Jean-Louis Fabiani : « en effaçant les démarcations et les clivages sociaux que produit inévitablement la structure de l'édifice traditionnel, il s'agissait au fond de "désacraliser" l'accès au théâtre en déniant les vertus propres du lieu consacré pour recréer, sur un autre terrain symbolique, les conditions d'un véritable cérémonial. L'architecture théâtrale de l'après-guerre a majoritairement intégré cette exigence en fonctionnant sur le mode de la dénégation : il s'agissait de faire oublier que nous étions au théâtre, de faire des théâtres qui n'en avaient pas l'air afin qu'on ne fût pas découragé d'y entrer lorsqu'on n'en était pas un familier. Mais la fonctionnalité qui se gagnait dans cette opération ne signifiait pas l'évacuation de toute cérémonie théâtrale. On peut illustrer ce point en revenant à l'expérience de Jean Vilar (mais il y aurait sans doute bien d'autres exemples) : « L'atmosphère de rituel d'une représentation d'Avignon devint une des caractéristiques du Festival. De la première sonnerie de trompettes ou du premier roulement de tambour (qui remplaçaient les trois coups traditionnels) jusqu'au salut final que les comédiens d'Avignon, et, plus tard, du T.N.P exécutaient avec une révérence au public, tout le spectacle était organisé dans le sens d'une célébration ». On n'a pas suffisamment remarqué le caractère paradoxal de l'opération de "désacralisation" ou de "démystification", car, simultanément, elle fait valoir l'idée selon laquelle le théâtre est un équipement social parmi d'autres dans l'espace urbain (ou même l'équipement social par excellence, un hyper-centre social, si l'on veut) et elle affiche l'ambition qui vise à reconstituer les fondements de la croyance en la spécificité de l'efficacité symbolique du théâtre, dans la dimension que confère le rituel ou la célébration » .

Cette question que le sociologue jette à la face du monde culturel traduit aussi les questionnements de sa discipline face à l’art et la culture . Y a-t-il une part de l’expérience culturelle, esthétique, artistique, ou spectatorielle que la sociologie ne peut atteindre ou ne doit pas se saisir ? Y a-t-il un inénarrable de l’expérience ? Est-ce cet espace de l’indicible qui constitue l’art ? Cet indicible ne peut-il pas prendre place dans un dispositif plus général que les sciences sociales seraient tout à fait à même de repérer ?

L’action culturelle a cela de commun avec les sciences humaines et sociales qu’elle ne dispose pas de paillasse . L’expérience au sens positif n’est pas possible, on ne peut pas réunir deux fois les mêmes conditions d’expérimentation. C’est pour cela que c’est toujours à la marge que les révolutions scientifiques ou culturelles se construisent. Le transistor ou l’apparition du disque ont pu avoir autant d’effets positifs dans leurs capacités à démocratiser la culture et l’information que les politiques culturelles publiques. La sociologie, tout comme les sciences de l’information et de la communication savent en rendre compte. Le temps du changement social par l’entremise d’une politique est souvent long que celui des techniques qui, à la marge, sont bien plus efficaces. Cependant, est-ce que parce qu’un temps d’une action est plus long qu’il faut renoncer à la poursuivre ou qu’il faut l’invalider ? Peut-être faut-il cinquante, cent ou deux cents ans ? C’est une question essentielle que pose généralement la mise en place des politiques culturelles et qui se pose, de fait, à ceux qui tentent d’en observer et d’en mesurer les effets.

Jouir ou ne pas jouir ?

« Madame, Mademoiselle, Monsieur,
Vous êtes en retard : la représentation est maintenant commencée. Vous savez de quels soins nous aimons entourer la « cérémonie dramatique », et ses spectateurs. Et vous comprenez notre souci d’épargner à l’œuvre comme à notre public, ces bruits de portes, de fauteuils, ces chuchotements inévitables qui accompagnent l’entrée des retardataires dans la salle. Vous apprécierez vous-même, une autre fois, ces mesures. Et vous renoncez, ce soir, à vous fâcher » . On le voit, les notes de service de Jean Vilar, parallèlement aux mesures envisagées pour tenter d’élargir le public du TNP, sont porteuses également de l’ambition et de la croyance en la spécificité de l’efficacité des codes qui ritualisent la fréquentation du théâtre. En sociologues, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont très bien décrits tout ce qui s’attache à la maîtrise des codes au sein des amphithéâtres des Universités par les étudiants des classes dominantes. Cette maîtrise ne se joue pas dans une hypercorrection, le respect à la lettre de ces codes, mais sur une transgression maîtrisée : avoir l’air de n’en avoir rien à faire. Savoir arriver en retard n’est pas donné à tout le monde. Il y a ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas se fâcher. Lorsque Jean Vilar rappelle à l’ordre les spectateurs, c’est au public qu’il s’adresse : c’est affiché. Là où l’affaiblissement de la règle prévaut souvent pour garantir l’accès de la chose culturelle, cette affirmation du dispositif tend à mettre en porte à faux de la même manière celui qui sait et celui qui ne sait pas.

Le constat d’inégalité devant la culture se fait au travers d’une représentation très figée et hiérarchisée des pratiques culturelles largement décrites par Pierre Bourdieu dans La distinction . Dans cet ouvrage, on le rappelle, il décrit les pratiques culturelles comme étant déterminées par un habitus social par lequel s’expriment les différenciations sociales. Les pratiques culturelles des individus structurent ainsi une hiérarchie sociale en fonction de la légitimité culturelle. Cette théorie, issue de la théorie de la domination de Max Weber, prend en compte la science de l’œuvre et de son champ comme étant déterminants pour le spectateur dans sa capacité à en jouir. « On pourrait dire qu’il y a un prix à payer pour continuer à jouir de l’art, qui consiste à renoncer à la forme ordinaire, sensible du plaisir esthétique, dont le plaisir est la méconnaissance des sources du plaisir, comme fondement de la croyance collective qui est au principe de l’ordre artistique et de l’ordre intellectuel, et dont la constitution d’un rapport savant à l’œuvre exige la suspension. Ce renoncement au plaisir ordinaire est la condition d’accès à une forme de satisfaction supérieure fondée sur la reconnaissance, garantie par une conversion préalable à la science, de la genèse sociale d’une illusion. Accroître sa science (des œuvres), ce n’est donc pas accroître ses douleurs, mais accroître son plaisir » .

Mais, doit-on parler d’inégalité sociale devant la culture, puisque par définition la culture reste un lieu de choix, de quête identitaire, d’amour, de dilection et de partage ? Pour toutes ces raisons, la culture tout en étant un lieu de choix, est aussi un lieu de rejet identitaire, de dureté, de division. Sur un autre plan, on peut imaginer que la science, la connaissance d’une œuvre et de son champ par le spectateur peuvent l’amener à relativiser sa propre expérience esthétique dans un bain de réflexion voire même, par un effet de saturation, détériorer ou amoindrir la jouissance qu’il peut avoir d’une oeuvre. Dans son apologie de l’expérience esthétique, Hans Robert Jauss, étudiant le processus de dégradation de la notion de jouissance au cours de l’histoire de l’art, s’évertue au contraire à en réhabiliter le statut. Le fait est que l’on s’affronte, chaque fois que l’on est amené à étudier empiriquement les publics d’une manifestation ou d’une institution, à la difficulté de ce que signifient « jouir d’une œuvre » ou bien des « conditions nécessaires à la jouissance d’une œuvre », jouissance et conditions de la jouissance pouvant être très variables d’un individu à un autre.

Entourer la « cérémonie dramatique »

Comme le stipule Roger D. Abrahams :“The event constitutes a celebration, which can be either festive or ceremonial. At this point the argument draws on a classic concept Emile Durkheim’s pair of opposites sacred and profane. The statement has been updated by Victor Turner’s parallel distinction between liminal (obligatory, highly formalized) and liminoid (optional, free-flowing) social events and behaviour” .

De fait, le niveau de formalisation de la « cérémonie dramatique », son niveau de sacralisation, niveau de contrainte préétablie mis en face de la participation de spectateurs qui deviennent un public devrait permettre de relire autrement l’inégalité d’accès à la culture. Est-ce changer de lunettes pour mieux voir ou se mettre des œillères ? Comment, au reste, définir le geste théâtral du spectateur qui va au théâtre en usant des catégories du profane et du sacré ? Comment définir le geste qui l’amène à participer au Festival d’Avignon ? Des deux rituels, y en a-t-il un qui est plus « chargé », plus « sacralisé » dans une carrière de spectateur ? La pratique festivalière permet-elle de vivre le théâtre dans un espace plus ou moins désacralisé que ne l’est l’Odéon ou le TNP ? C’est là une question embarrassante que le sociologue ou l’anthropologue aurait bien du mal à trancher.

Cette question du profane et du sacré travaille de la même manière le théâtre. L’exemple du théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis investi par Stanislas Nordey avec un tarif unique pour tous à 50 francs, un abonnement à l’année pour tous les spectacles à 200 francs pour les Dionysiens, lieu ouvert tous les jours... rentre dans ce type de projet. Le manifeste de Stanislas Nordey « Pour un théâtre citoyen » commence ainsi : « Pour que le citoyen puisse considérer le moment de la venue au théâtre comme un geste simple, nécessaire, une joie, un petit bonheur, il faut reconsidérer la façon dont le théâtre s’adresse à lui. »

Le citoyen doit-il vivre un geste simple quand il va au théâtre ? Doit-on vraiment croire que les publics populaires, les citoyens ne souhaitent pas s’apprêter pour être dans une pratique de sortie qui relève de ce que les anthropologues et les sociologues appellent un rituel ? Les enquêtes par questionnaires nous ont au moins appris que les publics apprêtés ne sont pas les moins populaires. Attention, il ne faut pas s’y tromper : le théâtre Gérard Philipe de Stanislas Nordey ne résume pas son théâtre et c’est bien dans l’adresse au public que l’ouverture du théâtre se fait. Et l’observateur averti serait bien en mal d’oublier que Stanislas Nordey et Robert Cantarella constituaient avec Olivier Py la « Sainte Trinité » du théâtre des années 90, ce dernier défendant, pour sa part, et sans être contredit par les deux autres, une certaine resacralisation du théâtre : « De vous, de vous et de chacun à sa manière je sais que Dieu n'est pas ailleurs, je sais qu'il n'est rien de plus sacré que notre effort, je sais que dans l'effort de l'homme pour montrer à l'homme ce que l'homme refuse de voir de l'homme, il n'est pas de vanité. Tous les coups sont permis mais encore faut-il y engager sa vie, et de chacun de vous, je le sais, c'est si beau que cela me fait peur, chacun de vous n'a vie que sur les planches. Chacun de vous s'est déjà entièrement brûlé à cette malédiction, vous n'êtes rien quand vous n'êtes pas sur le bois, vous êtes errants et idiots et vides, car pour vous tout se joue, tout se rejoue, l'ancien combat, ici. Hors d'ici, il n'y a rien que l'obscure attente, le lundi de relâche qui est comme un samedi saint, sans liturgie, nuit de la nuit, apnée de la mémoire. […] N'en déplaise aux imbéciles, aux bénis non-non, aux bigots de la laïcité, je ne suis venu ici que pour le Christ, et le Christ c'était nous attablés autour du travail et dans l'espoir que notre ronde s'élargisse ».

Jean-Claude Passeron et Claude Grignon, situant la quasi-impossibilité d’échapper dans la littérature et ses études au populisme ou au misérabilisme, conseillent donc d’envisager une sinusoïde la plus faible possible entre ces deux formes du dominocentrisme . Il semble que, pour le théâtre, ce dominocentrisme amène le théâtre lui-même et ses études à devoir alterner entre le profane et le sacré en essayant d’aplanir au mieux la courbe de sa sinusoïde.

lundi, mai 14, 2007

12-13 minutes poste 00(9)7 devant la commission de spécialistes en 71ème section de l’Université d’Avignon




Monsieur le Président de la Commission de spécialistes,
Mesdames les membres de la Commission de spécialistes,
Messieurs les membres de cette même commission,

Je vous remercie, tout d’abord, de la lecture attentive que vous avez accordée à mon dossier et de la bienveillance que vous manifestez à l’égard de cette candidature en m’auditionnant, aujourd’hui.

J’ai donc l’honneur de présenter devant votre commission ma candidature au poste de maître de conférences Publics de la culture, festivals, cinémas - 0097- et cela au sein du Département des Sciences de l’Information et de la Communication de votre université.

L’exposé de ma candidature se déroulera en trois temps – tout d’abord, ma lecture de l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse et le département des sciences de l’information et de la communication-,-ensuite un retour sur mon parcours et ce que j’ai pu en apprendre-, - , puis un troisième temps donnera brièvement une cohérence à des thèmes de recherche qui peuvent sembler hétérogènes.

Généralement, au travers d’un régime assez descriptif, à partir du profil de poste 0097, je vais tenter de donner à voir un projet avignonnais au sein d’une équipe d’enseignement et de recherche déjà cohérente.

Je commence donc par un retour sur l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse et son département des sciences de l’information et de la communication.
Celui-ci été créé en 1984 alors même que cette université recouvrait un exercice de plein droit après avoir été un centre universitaire depuis 1963. L’année 1984 est aussi celle de la loi sur l’enseignement supérieur.
Depuis, ce département a développé son identité dans le même mouvement que les sciences de l’information et de la communication en tant que discipline et 71e section universitaire entre professionnalisation, interdisciplinarité et affirmation disciplinaire.

La professionnalisation, donc, procède par un accent mis sur un volume d’interventions d’extérieurs communément appelés les professionnels ou comme Godard les appellent « les professionnels de la profession ». Cette professionnalisation passe aussi par une affirmation croissante des stages dans les formations, par le développement de diplômes aux moyens spécifiques de type deug réformé, MST, DESS, IUP, Masters professionnels mais aussi, le création de réseaux de diplômés (j’ai moi-même pu participer à la création de l’association de professionnalisation des diplômés du Master Culture et Communication). Selon moi, la professionnalisation au sein de votre département procède aussi par la recherche. Et ce n’est pas la moindre des spécificités avignonnaises, en développant autour d’axes de recherches clairs. Le laboratoire a su développer des liens visibles et tangibles avec des mondes clairement identifiés : d’un côté ceux du patrimoine, des musées et des expositions, et de l’autre côté ceux des festivals et des cinémas. Ces liens engagent de grandes institutions culturelles par des collaborations, des conventions de recherche mais aussi au travers du versement de la taxe d’apprentissage. On peut citer en rapport avec le profil du poste 0097, et entre autres : le Festival d’Avignon, la Chartreuse, la Maison Jean Vilar, le Festival de Cannes, les cinémas Pathé Avignon… À Avignon, la recherche étaye et structure les rapports aux mondes de l’art, de la culture et à la professionnalisation.

Pour continuer sur l’interdisciplinarité et, en même temps sur la question de l’affirmation disciplinaire, questions qui taraudent les sciences de l’information et de la communication, il faut dire qu’Avignon répond à cette problématique au travers de deux niveaux de réponses : institutionnel et scientifique. L’inscription dans la SFSIC, les liens avec l’EHESS en véritable partenaire ne prennent de sens qu’à l’aune de collaborations scientifiques qui dépassent la simple étude des faits de communications, et les abordent aux travers de notions définitoires des sciences de l’information et de la communication comme celles de –dispositifs, médiations, formes…- mais aussi celles de -publics, de pratiques, d’enquêtes…-. D’autre part, Avignon, par ses préoccupations doctorales, affirme son identité au sein des sciences de l’information et de la communication dans le cadre plus large des sciences humaines et sociales. Cette affirmation passe par la professionnalisation de docteurs formés dans la discipline qui sont souvent assez décomplexés par rapport à la question de l’identité disciplinaire, peut-être trop ? peut-être suis je en train de parler de moi ? Mais, penser le rapport à la discipline doit se faire dès les premiers cycles en se rappelant que les sciences de l’information et de la communication ne sont pas enseignées au lycée dans les filières générales.

On peut donc dire que depuis 1984, Avignon a su développer ses formations jusqu’au niveau doctoral et cela jusqu’à un niveau international, a su transformer ses cycles de formation au fur et à mesure des réformes et s’apprête, après avoir été Jeune Équipe puis Équipe d’accueil, à fonder avec l’EHESS et son centre marseillais le centre Norbert Elias, UMR CNRS, EHESS, université.

Comme vous avez pu et aller de nouveau le constater, la formation et la recherche que j’ai développées sont largement liées à cette identité avignonnaise, mais pas uniquement. C’est donc ici que j’amorce le deuxième temps de ma présentation : un retour sur mon parcours.

J’ai effectué mon cursus de premier cycle en de DEUG Médiation Culturelle et Communication, à Avignon.

J’ai ensuite effectué une Maîtrise de Conception Multimédia, toujours dans cette même université, et cela m’a permis, d’une part, d’effectuer un premier mémoire sur le dispositif du festival de Cannes et d’autre part, d’assimiler la logique des ateliers. Ce mémoire a été effectué sous la direction d’Emmanuel Ethis dans le cadre d’un stage.

À chaque moment de choix de carrière universitaire et professionnelle, j’ai toujours prudemment, longuement mûri et enfin fermement, pris mes décisions.

Après avoir hésité à m’engager dans un DESS, je me suis engagé dans une idée professionnelle de la recherche dans le cadre d’un DEA à l’EHESS sous la direction de Jean-Louis Fabiani qui pouvait m’amener idéalement à travailler à la radio, expérience que j’ai en partie éprouvée en collaborant avec Jean Lebrun pour France Culture ou, autre idéal, à continuer en thèse.

Grâce à l’encadrement de Jean-Louis Fabiani, d’Emmanuel Ethis et de Jacques Cheytonnaud, je suis sorti major de ma promotion avec un mémoire sur les pratiques cinématographiques des étudiants à partir de l’exemple de l’Université d'Avignon. J’ai eu la chance de présenter une allocation à l’Université d'Avignon. J’ai choisi de faire cette thèse à l’université sous la direction de Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHESS et d’Emmanuel Ethis, professeur des universités, car pour moi, l’université est un lieu privilégié de la recherche par sa vocation même à la transmettre. L’objet de cette thèse est lui-même construit autour de la transmission culturelle au Festival d’Avignon.

Cette allocation a été chapeautée par un monitorat, succédée par deux années d’ATER et je suis actuellement en poste sur un contrat à durée déterminée. Au cours de ces quelques cinq années de travail au sein de l’université, j’ai pu commencer à saisir les missions ou au moins l’ampleur des missions universitaires : administration – enseignement – recherche.

L’administration procède selon trois niveaux qui ne sont pas exclusifs, les catégories suivantes sont donc avant tout descriptives :
- un premier niveau que l’on pourrait qualifier d’ordinaire : il comprend l’encadrement, le suivi des étudiants, de leurs travaux, la participation aux jurys, et ce que je ne connais pas la présidence des jurys de baccalauréat ;
- un autre niveau engage la responsabilité administrative et pédagogique et donc, par exemple, la présidence de jury par les responsables de formation (à des niveaux plus élevés, la capacité à être ordonnateur). Ce niveau, je l’ai éprouvé partiellement au travers de la coresponsabilité pédagogique de la spécialité stratégies du développement culturel et des parcours publics de la culture au sein du master culture et communication ;
- un autre niveau politique correspond à la vie civique de la communauté universitaire et procède par élection dans les différents conseils. Cet engagement se fait en fonction du corps et du grade auxquels on appartient. Cette fonction est double, elle se fait toujours dans le cadre d’une entité politique plus globale que les entités basiques d’appartenance, le département et le laboratoire. Cependant, c’est bien pour une UFR, pour l’université que les votes des élus doivent se faire. Par contre, le rôle plus particulier des élus par rapport à leur département et leur laboratoire d’origine est un rôle de médiation afin de faire circuler l’information et la réflexion : ce n’est pas une médiation qui pour but premier de résoudre les différents corporatismes pouvant exister au sein d’une université, mais bien de résoudre la tension entre le plus local et le plus global. J’ai pu éprouver ce niveau en étant élu quatre ans au conseil scientifique de cette université, membre de son comité de mise en place de la réforme LMD, et du groupe de réflexion sur la refonte de son site internet.

Au niveau de l’enseignement, je me contenterai de me situer dans une volonté de ne pas opposer les parcours recherche et professionnel. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de spécificités qui relèvent de formations à l’écriture, aux normes de la pratique scientifique mais je ne crois pas que la maîtrise de logiciels et que la pratique du stage soient néfastes à la recherche et, réciproquement, force, est de constater comme le signale Christian Morel DRH-sociologue de Renault, que les pilotes d’avion sont actuellement formés en cas de catastrophes non plus à des méthodes de type « école », mais à une sociologie du cockpit. Le propos ici n’est pas de former des pilotes d’avion ni de dire amen à la gestion des ressources humaines du voiturier qui a montré ses limites, il y a encore peu de temps, mais d’affirmer la spécificité et la qualité des formations universitaires jusque dans la professionnalisation et cela sans devoir se référer seulement à des modèles extérieurs à l’université. La réflexion sur les formations universitaires doit aussi se faire depuis l’université. Je ne cherche pas à montrer que formations professionnelle et recherche doivent mener à tout et, du coup, à résumer les qualités universitaires à des notions d’adaptabilité et d’autonomie, mais je ne suis pas assez déterministe pour définir les conditions qui feront qu’un étudiant deviendra un bon professionnel de la profession ou un bon chercheur de métier, et pourquoi, pas les deux ? Une des questions qui se pose dès maintenant étant la professionnalisation des doctorants et des docteurs : la capacité à transformer les mentalités et à considérer le doctorat, non seulement comme le plus haut grade de diplôme de l’université de la république mais aussi comme une première expérience professionnelle lourde.

La recherche procède selon deux modes de relations au financement avec ou sans contrat, deux modes de relation aux institutions avec ou sans convention qui définissent habituellement une opposition entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Cette opposition est de plus en plus perturbée. Il faut rajouter un nouveau type de subventions et une logique de programme dont la figure exemplaire est le programme de l’ANR. Un autre type de distinction apparaît dès lors qu’on considère la recherche individuelle et la recherche collective, qui interroge trois capacités : celle à travailler de façon autonome, celle à s’intégrer dans un programme et la capacité à en conduire un.

C’est ainsi que depuis 1999, je me suis inscrit dans un programme de recherche conduit par Emmanuel Ethis sur les publics des festivals que cela soit d’Avignon ou de Cannes. Actuellement, je suis auprès du DEPS et aux côtés d’Emmanuel Ethis et de Jean-Louis Fabiani responsable scientifique de l’enquête sur les publics du Festival d’Avignon. Dans cette période, j’ai aussi été amené à collaborer avec des chercheurs des deux origines disciplinaires dont je suis issu : sciences de l’information et de la communication, notamment avec des sémiologues et sociologie. Deux lieux privilégiés de ces collaborations ont été l’enquête sur les publics du château d’If sous la direction de Daniel Jacobi et d’Emmanuel Ethis et le groupe Télévision, culture, patrimoine dirigé par Virginie Spies.

Le troisième temps de mon intervention arrive, et au regard du temps qui reste, je ne vais pas ici réénoncer oralement les thèmes de recherche que je souhaite développer au sein du laboratoire culture et communication. Mais, avant tout, je tiens à repréciser que je ne sais pas quel point ces objets peuvent présenter une cohérence de traitement, mais que pour moi, ils peuvent être étudiés sous l’angle de ce que certains décrivent comme une expérience esthétique, d’autres, une phase liminaire, ou autrement dit, ce qui dans la culture nous change et nous amène à être encore plus nous-même :

Pour conclure, je vous dirai qu’en cette année 2007, j’ai 29 ans, j’ai envoyé des dossiers de candidatures à Avignon, à Grenoble 2, à Grenoble 3, Metz, et Paris V. Le sens de ces envois et de ces candidatures est celui de l’épreuve d’un dossier scientifique, pédagogique et administratif dans le monde universitaire français. Ces lieux représentent pour moi deux tendances cohérentes qui sont constituantes de mon identité mais aussi du projet que je choisis de défendre devant vous aujourd’hui : communication et culture, et ce, au travers, dune approche sémio-sociologique.

Penser ma professionnalisation, mon universitarisation -ce qui m’amène à affaiblir devant vous ou plus exactement à complexifier l’opposition entre « professionnel de la profession » et chercheur- me force à penser le rôle extra universitaire qui fait partie en soi de l’activité universitaire : je compte si je suis recruté à l’université d’Avignon continuer l’expertise théâtre auprès de la DRAC PACA, j'aspire à devenir membre du conseil d’administration de la Maison Jean Vilar, et je reste, après avoir été un des fondateurs des nuits des cinéfils et filles, membre de leur conseil d’administration.

Mon identité universitaire est donc bien avignonnaise, car pour moi, la nature avignonnaise du Département des sciences de l’information de la communication est profondément universitaire : il représente un des lieux fort du projet universitaire français, européen et international. Ainsi, si une identité universitaire avignonnaise est implantée dans un territoire local, elle doit aussi être implantée dans un territoire plus global qui correspond au territoire de l’université en général et celui-ci peut passer par l’EHESS, par l’Université de Québec à Montréal, par Harvard et par l’université Léopold Sedar Senghor d’Alexandrie. Ces institutions scientifiques font partie de celles avec lesquelles j’ai pu nouer des liens depuis l’Université d'Avignon.

C’est pour toutes ces raisons que je postule à l’Université d'Avignon, au sein du département des sciences de l’information et de la communication et que de toutes les façons, même si je n’étais pas recruté, aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir garder des liens forts avec le laboratoire culture et communication.

La Dernière séance...



Je viens d'être classé en première place à l'audition de la commission de spécialistes en 71ème section de l'Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse. À la suite de cette audition, je comprends pourquoi, il y a peu d'informations dans ce moment réglé et finalement assez secret. Je discutais avec une camarade de l'analogie starwarsesque et de façon, il me semble, convaincante, elle soulignait que ce que nous allons correspondait au moment où Luke Skywalker va dans la grotte pour devenir Jedï. Luke au travers de ce rituel de passage découvre ce qu'il va devenir et qu'il n'est pas encore dans un moment où il n'est déjà plus ce qu'il était (c'est clair). Je ne sais pas ce que ma camarade à découvert sur son devenir, mais nous nous sommes confirmés après nos épreuves respectives qu'aucun des membres ne s'était révélé être notre père, ce qui tombe assez bien à vrai dire, nous contentant largement des nôtres. Les sciences sociales n'étant pas prédictives (normalement), je suis juste en mesure de pouvoir situer l'état d'âme dans lequel j'étais lorsque j'ai appris mon classement : il était comparable à celui que j'ai éprouvé lorsque j'ai compris le sens de chanson d'Eddy Mitchell La Dernière séance : que vont devenir les affiches de cinéma de ma chambre d'étudiant ?


MALINAS, Damien, SPIES, Virginie. " Mes jours et mes nuits avec Brad Pitt " : l'affiche de cinéma, une identité énoncée de la chambre d'étudiant à la télévision. Sous la direction d'Emmanuel Ethis et de Jean Louis Fabiani, Culture & musées, 2006-06, n° 7, p. 39-63.

« J'allais rue des solitaires, A l'école de mon quartier
A cinq heures j'étais sorti, Mon père venait me chercher
On voyait Gary Cooper, Qui défendait l'opprimé

C'était vraiment bien l'enfance
Mais c'est la dernière séquence
Et le rideau sur l'écran est tombe.

Bye bye les filles qui tremblaient
Pour les jeunes premiers.........
Bye bye rendez vous à jamais..
Mes chocolats glacés, glacés... »


Ces quelques lignes tirées de la chanson La Dernière séance d’Eddy Mitchell introduisent directement à la complexité de la question qui fait l’objet de cet article : ce qui reste de ce cinéma de l’enfance dans la construction d’un soi identitaire en voie d’autonomisation, dans la présentation de ce soi par l’accrochage d’affiches dans la sphère privée et dans la relation à la télévision. De fait, cette chanson éponyme de l’émission possède une telle capacité d’évocation qu’elle permet d’évoquer une totalité que nous aurons du mal à décrire entièrement dans les quelques pages qui suivent. Ce que ne signale pas ouvertement la chanson, c’est que la dernière séance d’Eddy Mitchell dans un cinéma de quartier avec son père a de fortes chances d’être également et plus strictement l’une des dernières avec son père. Car, lorsqu’il quittera sa famille et le milieu de son enfance pour « devenir adulte », il retrouvera surtout le cinéma pour se constituer en tant que spectateur autonome. En effet, le cinéma occupe le tout premier rang des pratiques culturelles de sortie lorsque, notamment à l’occasion des études, on est amené à quitter son foyer d’origine. Cette première pratique autonome qu’est le cinéma, nous avons choisi de l’aborder principalement à travers une analyse transversale qui s’appuie sur une enquête réalisée auprès d’étudiants de l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse1. Il s’agit de cumuler les ressources de la sémiologie et de la sociologie en abordant la construction du spectateur par le moyen de l’usage de l’affiche de cinéma. Il est question dans un premier temps d’interroger la naissance du goût cinématographique comme promesse de soi-même, à un moment où l’identité culturelle est en construction, où les choix cinématographiques sont essentiels et où les pratiques témoignent de la fondation d’une carrière de spectateur. Dans un second temps, nous allons nous intéresser au phénomène de l’affiche de cinéma, et notamment l’affichage comme pratique privée par la présence de l’affiche de cinéma dans la chambre. En effet, cette pratique est une manifestation centrale, et relativement facile à saisir, de la relation des jeunes adultes au cinéma. Comprendre comment, dans la formation de l’identité culturelle autour des pratiques cinématographiques, une ou des affiches de cinéma franchissent le seuil de la chambre de l’étudiant pour venir à ses côtés, partager cet espace ? Enfin, dans un troisième temps, nous tenterons de comprendre sémiologiquement le régime de fonctionnement de l’affiche en nous appuyant sur ses mises en scène dans des émissions de télévision consacrées au cinéma en tant qu’instrument d’évocation et de symbolisation d’un film qui n’est pas directement montré. De l’espace médiatique à l’espace intime, l’affiche balise un parcours qui se veut autant décor que discours. Elle demeure un raccourci pratique pour parler de l’autre – le film absent – à la télévision, mais aussi pour parler de l’indicible soi, précipité des goûts cinématographiques acquis souvent à la sortie de l’enfance.


Aller au cinéma lorsqu’on est étudiant

Pour ne pas confondre les jeunes et les étudiants, il faut se donner les moyens de pouvoir les caractériser à l’intérieur de ce cadre de référence plus large qui se particularise déjà par rapport à d’autres publics de cinéma. Les jeunes vont plus souvent au cinéma que leurs aînés : 42 % des 6-24 ans allant au cinéma sont des « habitués », c’est-à-dire se rendant au cinéma au moins une fois par mois (contre 37,5 % pour l’ensemble de la population). Au sein de ces jeunes, les 20-24 ans concentrent la plus forte proportion d’habitués : 57,8 %. En évolution, si le poids des habitués au sein de la population cinématographique a légèrement progressé, la part des habitués et même des assidus a augmenté plus sensiblement chez les jeunes.

Depuis un an, combien de fois êtes-vous allé au cinéma ?

%
Non-réponse 0%
0 0%
de 1 à moins de 5 13,3%
de 5 à 10 20,7%
de 10 à moins de 20 39,1%
20 et plus 26,9%
TOTAL 100%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001

Il faut lire aucun des étudiants de l’échantillon n’est pas allé au cinéma depuis un an.

Les jeunes se rendent au cinéma principalement en groupe. Les trois quarts des 15-19 ans et plus d’un jeune sur deux âgé de 20 à 24 ans se rendent à « plusieurs », alors que c’est le cas pour 42 % des Français qui pratiquent plutôt le cinéma à deux . On peut d’emblée remarquer que si le cinéma est une pratique qui reste très sociable chez les jeunes 20-24 ans, elle a déjà tendance à s’individualiser.

Que faire alors des 93,8 % des étudiants en premier cycle de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse que nous observons pratiquer le cinéma principalement en groupe ? On peut tout d’abord relativiser la comparabilité de ces résultats par la différence des conditions de recueil de données. Certes, mais le rapport qui est presque de un pour deux ne peut s’expliquer par ce seul fait. Il faut à ce moment situer que ce ne sont que 63,3 % des étudiants en première année à Avignon ont entre 20 et 24 ans et 36,7 % ont moins de 20 ans. On voit la limite des catégories et des échelles de la Comptabilité Nationale lorsqu’on les confronte à un questionnement plus localisé dans l’aire nationale mais aussi par rapport au cycle de vie . Enfin, et nous pouvons le pointer sans trop de risque, le fait que ces 93,8 % pratiquent le cinéma en groupe souligne le caractère sociable de la pratique estudiantine y compris par rapport à celle des jeunes plus généralement.
Avec qui allez-vous qui le plus souvent au cinéma ?

%
Père 1,4%
Mère 2,2%
Fratrie 7,1%
Ami(es) 51,4%
Conjoint(e) 29,6%
personne 5,4%
Meilleur ami 2,2%
Non-réponse 0,8%
TOTAL 100%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001
Il faut lire : 51,4 % des étudiants de l’échantillon vont le plus souvent avec des amis au cinéma.

En effet seulement, 5,4 % des étudiants déclarent aller seul au cinéma Au-delà de la sortie en groupe, la pratique cinématographique pour les étudiants de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse est une sortie amicale au regard des 51,4 % qui déclarent aller le plus souvent avec des amis au cinéma.

La sociabilité de la pratique cinématographique ne commence pas au cinéma mais aussi dans la formation du choix cinématographique ; 70,4 % déclarent principalement être orientés en amont dans leurs choix cinématographiques par leur entourage, leurs amis. Cela situe cette influence au même niveau que les bandes-annonces qui influencent principalement 72,6 % de ces mêmes étudiants. A l’université, il n’est alors plus possible, comme c’est souvent la cas , de distinguer la presse spécialisée en tant que deuxième source d’information mais les étudiants eux-mêmes par leur sociabilité.

Ce qui est en jeu dans cette sociabilité cinématographique, c’est une vision du cinéma mais aussi une façon de voir le monde : alors que seulement 2,2 % des étudiants déclarent aller le plus souvent au cinéma avec leur meilleur ami, ils sont 40,2 % à aimer de façon préférentielle parler de cinéma avec leur « meilleur ami ». Alors qu’on va plus facilement au cinéma avec ses « potes », parler de cinéma relève de ce qu’il y a de plus intime : l’affirmation de leur personnalité et de leur appartenance à une génération conduit les étudiants dans le cadre de leur famille à parler de cinéma à un frère ou une sœur plus qu’à leurs parents.

Qu’est ce qui oriente principalement vos choix cinématographiques ?

%
Non-réponse 0%
Votre entourage, vos amis 70,1%
La presse spécialisée 15,5%
La presse nationale 3,8%
Les émissions radio 4,3%
Les émissions TV 14,7%
Les bandes-annonces 72,6%
Autre 8,4%
Gazette Utopia 2,7%
TOTAL/ interrogés 192,1%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001

Il faut lire : 70,1 % des étudiants de l’échantillon qui orientent principalement leur choix cinématographique en fonction de leur entourage, leurs amis.

Quelle est la personne avec qui vous aimez le plus parler de cinéma ?

%
Non-réponse 6%
Père 1,9%
Mère 1,1%
Fratrie 16,3%
"Potes" 15,2%
« Meilleur ami » 40,8%
Conjoint(e) 14,1%
la personne avec qui l’on est allé au cinéma 1,6%
Tout le monde 1,4%
Personne 1,6%
TOTAL 100%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001

Il faut lire : 40,8 % des étudiants de l’échantillon aiment le plus parler de cinéma avec leur « meilleur ami » .


Pratiquer le second degré pour préserver une partie de l’enfance

Placer le cinéma comme élément central, sorte de noyau dur des pratiques culturelles des étudiants permet d’observer comment ce dernier dynamise ou non l’ensemble des autres activités considérées généralement comme culturelles. Outre le fait d’être la sortie la plus courante chez les étudiants, la pratique cinématographique joue le rôle commode et décisif dans les sociabilités culturelles de masse : il est facile de partager un film avec quelqu’un, soit en l’accompagnant, soit en l’y envoyant.

Savoir si l’on aime les films que l’on conseille demanderait de savoir si l’on aime ceux à qui on les conseille. Il est en tout cas remarquable que certains genres de films apparaissent comme des trieurs sociologiques en termes de goût et de dégoût.

Quels sont les films que vous conseilleriez à vos amis ?
%
Auteur 20,1%
Action 14,1%
Science-fiction 16,3%
Comiques 12,8%
Dramatique 10,3%
Policier ou espionnage 8,2%
Amour 7,9%
Historique 4,1%
Horreur ou épouvante 2,2%
Classiques 1,4%
Comédie musicale 0,3%
Aventure 0,3%
Western 0%
Dessin animé 0%
Non-réponse 1,9%
Autres/NSP 0,3%
TOTAL 100%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001


Quels sont les films que vous déconseilleriez à vos amis ?

%
Comique 18,2%
Action 16%
Horreur ou épouvante 15,8%
Science-fiction 15,5%
Auteur 9,8%
Amour 9%
Policier ou d'espionnage 3%
Dramatique 2,7%
Historique 1,6%
Aventure 1,1%
Western 0,3%
Dessin animé 0,3%
Classiques 0%
Comédie musicale 0%
Non-réponse 6,5%
Autres/NSP 0,3%
TOTAL 100%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001

Il faut lire : 16 % des étudiants de l’échantillon déconseilleraient à leurs amis les films d’action.

Les films d’horreur, par exemple, ne sont conseillés à des amis que par 2,2% des étudiants : qui souhaiterait ces visions à quelqu’un à part à son ennemi ? Ces films apparaissent comme étant à proscrire pour ses amis pour 15,8 % des étudiants. Le film d’auteur semble lui plus vertueux : ce genre est « mieux à conseiller » à ses amis pour 20,1 % des étudiants alors que seulement 9,8 % des étudiants cherchent à en préserver leurs amis. Le film de genre comique subit quasiment le sort opposé conseillé par 12,8 % des étudiants, il est au pilori estudiantin : il est déconseillé par 18,2 % des étudiants. .

Chose étrange lorsque l’on se penche sur les pratiques effectives de ces étudiants qui, pour la plupart, ont quitté le lycée, il y a un an au plus et dont le foyer est majoritairement confondu avec celui de leur(s) parents : ils hésitent rarement à aller voir les films pour teen-agers, seulement, ils s’en préservent avec une arme presque magique puisqu’elle sert à tout : le second degré. Cette protection permet en partie aux étudiants de pouvoir prolonger certaines pratiques qui relèvent du milieu familial mais aussi de l’adolescence : les films sont en fait le genre qu’ils préfèrent avec 19,3 % d’entre eux à le déclarer.

Quel est le genre de film que vous ne vous lassez pas de regarder ?

%
Comique 19,3%
Policier ou espionnage 17,9%
Dramatiques 12,2%
Action 11,1%
Science-fiction 9,8%
D'amour 8,2%
D'auteur 5,7%
Horreur ou épouvante 3,3%
Historique 2,2%
Aventure 1,1%
Westerns 0,5%
Classiques 0,5%
Dessin animé 0,5%
Autres/NSP 3,8%
Non-réponse 3,8%
TOTAL 100%
Source : D. Malinas, La culture cinématographique des étudiants,
l’exemple de l’Université d'Avignon, DEA, EHESS-UAPV, 2001

Il faut lire : 19,3 % des étudiants de l’échantillon ne se lassent pas de regarder des films de genre comique.

Les étudiants de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse sont tous des spectateurs de cinéma : il s’agira, ici, de se demander comment on bricole, articule son identité, ses pratiques notamment cinématographiques afin d’atteindre partiellement l’identité que l’on revendique dans ce lieu de formation identitaire, culturelle et sociale qu’est l’université et qui ne sera accordé que temporairement. C’est cette tension entre éducation et culture que pointait Émile Durkheim dans son ouvrage intitulé L’éducation morale : comment est-ce qu’on enrichit une formation par ce qu’on fait à l’extérieur de celle-ci ? Et, quels en sont les résultats dans le processus plus général de la formation de l’identité ?

« Accrocher » le cinéma : montrer son cinéma

Au-delà de la fréquentation des salles elles-mêmes, quelques visites multipliées dans les chambres, les studios, les appartements, bref les logements « étudiants » suffisent à se convaincre de la place à la fois matérielle et symbolique qu’occupe le cinéma dans l’investissement de leur décoration intérieure. Affiches grand format qui s’appliquent sur la place murale la plus centrale , photos d’actrices ou d’acteurs qui se mélangent pêle-mêle aux photos d’amis, de famille ou d’amours, pages de magazine en papier glacé déchirées ou soigneusement découpées pour être collées telles quelles sur la porte ou les murs des toilettes ; l’imagerie cinématographique s’installe dans l’intérieur estudiantin comme autant de fragments de miroirs, supports esthétiques des choix, des attraits ou des inclinations qui viennent sceller sur les murs les fils ténus d’une certaine relation d’un « petit soi » culturellement exprimé à un fait filmique, un peu comme ces fils téléphoniques qui nous mettent potentiellement en relation avec notre réseau de sociabilité.

Ce qui demeure amusant lorsque l’on interroge celles et ceux qui accrochent ces images, c’est que tous prétendent à afficher là une originalité, propre à les singulariser, alors que ce sont toujours les figures récurrentes de Brad Pitt, Julia Roberts ou Johnny Depp, légions, qui se bousculent, et de surcroît pour « présentifier » sur les murs ces mêmes acteurs quasiment toujours dans leurs mêmes incarnations photo-filmiques : Sleepy Hollow, le Mariage de mon meilleur ami, Fight Club et la Neuvième porte viennent ainsi composer une sorte de « top four » des accrochages estudiantins.

Néanmoins, il convient d’amender ce constat de deux remarques qui méritent d’être faites pour compléter le « richesse banale » de ce qui pourrait en-soi constituer un programme de recherche sociologique à part entière : la décoration des murs d’étudiants :
- Les images tirées des films signalent précisément un aspect de la condition étudiante / lycéenne : celui ou celle qui accroche « du film » au mur de son logement affirme plus ou moins directement une manière de se séparer de l’imagerie enfantine et préadolescente (dessins, belles images, premiers posters de stars,…). L’imagerie cinématographique fournit de fait une sorte d’imagerie « de transition » qui conduit l’adolescent et le jeune adulte vers une imagerie plus adulte et plus solennelle (photographies, reproductions de tableaux, peintures originales). Sans doute faut-il voir là un différentiel dans le pouvoir d’imagination suscité par l’image d’un monde de l’imagerie à l’autre.
- En corollaire de la première remarque, on pourrait penser que c’est bien un « éclat » de la construction identitaire qui se manifeste dans l’accrochage des images photo-filmiques qui précisément viennent caractériser des différences assez fortes et propres à distinguer les attitudes des « filles » et des « garçons ». Comme le montrent le tableau ci-dessous et mieux encore le graphique qui en est tiré, si les courbes d’accrochage des affiches de films possèdent une allure similaire pour les deux sexes, il apparaît nettement que les filles sont plus nombreuses à « accrocher » du cinéma plus tôt. De même, tout comme les garçons, elles se détachent progressivement de cet accrochage, elles semblent le faire plus franchement et plus rapidement. Les hommes, pour leur part, conserveront plus longuement leurs accrochages photo-filmiques et seront plus nombreux à le faire longtemps.

Sur 100 « garçons » ou « filles », ont déclaré posséder une affiche de cinéma accrochée sur un de leurs murs

8-11 ans 11-15 ans 16-20 ans 21-25 ans 26-30 ans 30-35 ans
Garçons 5 36 54 53 49 39
Filles 16 57 41 35 24 14
Source : statistiques C.N.C., enquête sur les affiches de films (2000)

Ce rapport singulier à l’accrochage photo-filmique des étudiants, s’il caractérise bien une relation particulière de ces spectateurs à l’œuvre cinématographique, paraît jouer un rôle essentiel dans les processus de présentation du « petit soi » culturel dont nous parlions plus haut ; un petit soi destiné à ses pairs qui fonctionne un peu comme les disques que l’on possède et dans lesquels on peut aisément entendre un mode expressif de la personnalité culturelle d’un individu. Cette présentation de soi, lorsqu’on est étudiant, est à la fois rapide, économique et redoutablement trieuse quant aux liens qu’elle permet de tisser avec autrui. En effet, si l’on peut justifier d’un choix de disque diversifié où un Bach placé en évidence dans sa discothèque pourra toujours servir d’alibi pour excuser la collection complète des Mylène Farmer, une affiche grand format n’offre guère les mêmes possibilités de justification compte-tenu de la très large place qu’elle occupe souvent seule au milieu d’un mur. En ce sens, on pourrait être en mesure de s’interroger sur ce rapport à l’image accrochée, un rapport qui est rarement interrogé pour lui-même chez les « accrocheurs ». En effet, pour ces derniers, le fait d’accrocher une image tirée d’une œuvre filmique va toujours de soi, ces images sont naturellement « accrochables » chez soi ; de plus cette première évidence se double souvent d’une autre : si l’on sait foncièrement que l’on peut, par l’accrochage, donner à voir de soi, on interroge rarement l’impudeur qui existe à accrocher ses objets de prédilection qui se passent de commentaires et ce même si – joli paradoxe – ils sont porteurs d’un espoir de déclenchement de commentaires chez ceux qui les perçoivent comme tels : « Ah tu aimes Johnny Depp ? Moi c’est le film que j’ai aimé, lui en tant qu’acteur, je le trouve moyen… »
Ainsi, afficher dans son intérieur est porteur de significations. Avant de les aborder, posons nous la question de la médiation par l’affiche, lorsque celle-ci joue certains rôles dans les médias audiovisuels.

L’image à la télévision

Le décor de Mardi Cinéma, dans les années 80, est constitué d’affiches de cinéma. Pierre Tchernia annonce le film du soir sur l’image d’une affiche plein cadre. Durant l’émission, les affiches permettent d’illustrer l’actualité du cinéma. Cet exemple nous montre l’importance des affiches de cinéma dans les émissions de télévision dont l’objet est le 7ème art. C’est une évidence ? Pas si sûr... En effet, l’affiche arrête les images, alors que la télévision est un média du flux. L’affiche est la proposition d’une seule image et quelque texte, tandis que la télévision les multiplie. Nous sommes au coeur d’un paradoxe.
L’affiche est présente dans la plupart des émissions sur le cinéma. Telle une actrice douée, elle peut tenir différents rôles : Illustration, décor, instrument de communication ou bien simple prétexte. Elle tient en tout cas un rôle de médiation entre le téléspectateur et un objet : le film. Bien que souvent en arrière-plan, l’affiche de cinéma exposée à la télévision possède plusieurs valeurs :
- L’affiche représente. Cette valeur de représentation se trouve à un niveau très concret. L’affiche est une image « réelle » du film dont il est question. Avant la sortie du film, l’affiche est l’une des seules images concrètes auxquelles peut avoir accès le téléspectateur susceptible de se transformer en spectateur du film. L’émission Ubik, sur France 5 utilise fortement l’affiche pour représenter des films dont la sortie est imminente. Il s’agit, à la rubrique « Sorties de films », de montrer les affiches qui vont représenter les films dont il est question .
- Par-delà la représentation, l’affiche acquiert une valeur symbolique. Cette valeur de symbole fait de l’affiche l’Image du film. À elle seule, l’affiche symbolise le film avant, pendant et après la diffusion du film. Toutes les affiches n’acquièrent pas le même statut symbolique, qui dépend du succès du film et de sa présence médiatique. L’affiche du film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » symbolise le film, même quatre ans après sa sortie. Le succès de ce film fut tel que l’affiche n’en n’est pas le seul symbole, mais il s’agit cependant d’un symbole suffisamment fort pour avoir creusé un sillon dans la tête des spectateurs. On ne s’en étonne pas lorsqu’on observe la promotion du film à sa sortie. La journée du 18 avril 2001 sur Canal + est consacrée à Jean-Pierre Jeunet et à son film. L’affiche est montrée dans les différentes émissions. Tantôt élément du décor, présentée au même titre que des photos du tournage, ou bien présentée comme un point final à l’émission, la monstration récurrente de l’affiche dans tous les programmes de la chaîne participe de la mise en avant de cet objet et conduit véritablement à l’ériger un symbole.
- Enfin, l’affiche possède une valeur de signe. Car si « une image sert de signe lorsqu’elle figure un contenu dont elle ne reflète pas visuellement les caractères », alors effectivement, l’affiche fait signe pour le film lui-même, tandis qu’elle n’en représente qu’une infime partie (le visage en gros plan d’Audrey Tautou sur un fond vert signifie le film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain »). Cependant, la réception audiovisuelle restant mystérieuse, il faut observer que cette valeur de signe n’est pas la même pour tout le monde et que conserver près de soi un objet du film, tel que l’affiche prend un sens particulier. Dès lors, « afficher l’affiche » chez soi, c’est dire quelque chose des signes qu’évoque l’affiche. C’est à partir des signes que ce jouent le travail et le plaisir de la reconnaissance. Exposer une image du film telle que l’affiche conduit à exposer des signes d’un film que l’on aime, ou d’un acteur que l’on apprécie. Il s’agit d’inviter à une forme de plaisir, au moins celui de se remémorer un agréable instant, peut-être celui de construire avec l’affiche autre chose, dans son univers privé. L’image contenue dans l’affiche est ici soumise à la perception du spectateur qui fait exister l’image. C’est « la part du spectateur » mise en avant par Gombrich selon lequel le spectateur de l’image supplée au non-représenté, qu’il complète l’image qui ne peut à elle seule tout représenter. Cette part du spectateur est forte lorsqu’il est question de l’affichage cinématographique dans la sphère intime. Celui qui ouvre son univers à l’affiche invite sa propre subjectivité à venir combler l’image, à la réinventer du fond de sa chambre, et à en devenir une sorte d’auteur.
Les images ne fonctionnant pas sur un seul registre, la plupart des affiches de cinéma mêlent ces différentes valeurs, auxquelles il faut associer une fonction d’information, dans le sens où l’affiche apporte une somme (très variable) de renseignements sur le film, ainsi qu’une dimension esthétique, tout à fait fondamentale : l’affiche doit séduire, plaire à ceux à qui elle est destinée.


Afficher l’affiche

Considérons pour approfondir notre interrogation le passage d’une affiche d’un ou de plusieurs lieux publics (la rue, la télévision, le cinéma lui-même), à un lieu privé, celui de la maison, de la chambre de l’étudiant.
Dans les lieux publics, l’affiche de cinéma occupe un espace prévu à cet effet. Immédiatement, elle s’offre aux regards et a vocation à s’imposer. Pourtant, même exposée dans la sphère publique, l’affiche « induit une sorte très particulière d’espace privé, (car elle) instaure un lieu tout à fait particulier où notre regard est autant déterminé par ce que nous voyons que par le regard de l’autre (qui nous surprend ainsi) et dont nous savons qu’il peut nous voir regarder ce qu’il a, lui-même vu ». En ce sens, l’affiche est tout autant l’occasion d’un partage, que la promesse d’une interprétation, voire d’une aventure personnelle. C’est aussi pour cette raison qu’elle franchit aisément le passage à la chambre de l’étudiant qui, d’une manière ou d’une autre, va faire de l’affiche son « porte-parole placardé » et devenir le substitut de ses psychés. En recueillant des affiches de cinéma, le plus souvent dans des magazines, les étudiants expérimentent le principe de plaisir : ils exposent un objet qu’ils possèdent, et vont pouvoir en jouir quotidiennement. Nous ne sommes pas éloignés des propositions de Bruno Bettelheim qui, à propos du conte de fées observe que « ce n’est qu’après avoir écouté de multiples fois le conte, après avoir eu tout le temps et l’occasion de s’attarder sur lui, que l’enfant est à même de profiter pleinement de ce que l’histoire lui offre ». Il est question d’une satisfaction qui se réalise dans la durée et la pratique renouvelée. Il en est de même pour l’affiche, qui reste là, et offre un plaisir réitéré, celui des retrouvailles avec elle, chaque jour, pour continuer d’évoquer quelque chose de satisfaisant pour celui qui habite la chambre. Cependant, ce plaisir n’est pas un plaisir de la satisfaction immédiate. Il est question d’un plaisir construit, qui part des représentations et trouve son apogée sur un moyen ou long terme (on n’affiche pas pour une seule journée). Outre ce plaisir quotidien, il s’agit aussi du plaisir de posséder.
Afficher dans son espace privé reviendrait à lutter contre un fait mis en avant par Edgar Morin, qui constate que le fan ne peut posséder , que toujours l’amour qu’il porte lui échappe. Il s’agit d’une inégalité « de fait », qui ne fait pas du fan un vaincu, qui va pourtant collectionner et conserver à divers titres. Dans son enquête sur le festival de Cannes, Emmanuel Ethis observe que 61,8 % des festivaliers possèdent une affiche qui témoigne de leur cinéphilie. Le chercheur considère par ailleurs que collectionner des objets de cinéma correspond à « une volonté délibérée de s’approprier l’objet cinématographique ». Et cette appropriation dépasse de loin la possession des affiches, des cassettes et des DVD. Emmanuel Ethis montre que l’appropriation passe par la collecte d’objets tels que les dossiers de presse, les photos, les billets de cinéma et même un verre marqué de traces de rouges à lèvres de leur star préférée. Ainsi, « dotés d’un pouvoir fortement suggestif, ces objets leur permettent de consolider pour eux-mêmes et aux yeux de leurs proches une relation matérielle durable avec les mondes de cinéma ».
L’affiche (que l’on affiche) revêt un sens particulier dans le sens où elle témoigne d’un attachement (au cinéma, au film, à la star…), mais également dans le sens où elle se montre. Dès lors, et même si nous sommes dans un espace privé tel que celui de la chambre, cet espace peut être ouvert (à la famille, aux amis). Dans ces conditions, afficher c’est dire quelque chose de soi-même non seulement à soi mais également aux autres.

Afficher comme un acte

On peut considérer cet acte comme un acte d’énonciation. Il s’agit d’entendre l’énonciation comme « l’acte même de dire, lequel désigne réflexivement son locuteur. (Sont nécessairement impliqués dans) l’acte d’énonciation, le « je » et le « tu » de la situation d’interlocution ». Si, comme nous l’avons observé plus haut, l’affiche fait signe, il faut envisager l’idée selon laquelle elle signifie aussi quelque chose de celui qui l’expose. Cet acte comporte en lui une dimension réflexive qui ne peut cependant connaître de généralisation. On peut se dire cinéphile, afficher son goût pour un film, son intérêt pour un acteur, etc. Cet acte d’énonciation est particulier dans le sens où le « je » reste primordial. En effet, au cœur de cette situation particulière, dans laquelle l’étudiant affiche, s’il affirme quelque chose à quelques autres, il s’affirme surtout lui-même… à lui-même.
Au-delà de l’affichage d’une cinéphilie, il s’agit aussi parler de soi-même sur d’autres registres, en offrant comme une vitrine de soi-même. L’étudiant étant à un moment de sa vie important dans l’affirmation de ses choix (le choix de ses études par exemple), et de ses goûts (en matière culturelle), Cette affirmation de soi est fondamentale. Jean Baudrillard a mis en avant l’importance de la personnalisation et de la différenciation au sein de notre société qui tend à généraliser tous les processus de consommation, culturelle ou non . Il s’agit en somme, pour chacun d’entre nous, d’être face à « l’exigence d’agir en individu » et de fait, de devoir affirmer son identité, de différentes manières. Dans ce cadre, choisir l’affiche d’un film parmi beaucoup d’autres consiste à affirmer une différence en affirmant son choix, à se mettre en scène en quelques sortes, au milieu d’une offre culturelle variée, à signaler son style et son statut.
Cet acte d’énonciation, cette affirmation de soi peuvent prendre la forme d’une déclaration (d’amour) pour quelqu’un, pour son idole, sa star. Ici également, et comme le relève Edgar Morin, « Les participations et affirmations de soi imaginaires inspirées par les stars déclenchent aussi des participations et des affirmations de soi concrètes ». Nous sommes ici à la frontière de l’imaginaire et du réel, entre un « repliement narcissique sur soi » d’un côté, et de l’autre, « une affirmation de soi ».
Afficher une représentation de la star que l’on aime signifie faire entrer la star dans sa sphère privée. La star se situe pleinement entre ce qu’Edgar Morin nomme « la star-déesse et la star-marchandise », puisqu’elle poursuit son existence de star-déesse en apparaissant sur l’affiche de son film, et qu’elle est une marchandise dont l’effigie se vend et s’achète, se consomme comme un produit. Depuis longtemps, « le rôle des stars a très largement débordé l’écran de cinéma ». Cependant, leur arrivée dans l’espace de la chambre est un élément particulier, dans le sens où ce n’est pas la télévision ou de la presse qui mettent en œuvre un discours sur la star, mais bien le fan lui-même qui met en scène l’objet de son affection. Les stars, dont nous savons déjà qu’elles « participent à la vie quotidienne des mortels » entrent, au moyen de l’affiche, dans l’intimité du fan. Elles conservent cependant bien leur statut de star car elles occupent l’espace privilégié du mur, celui sur lequel on place des objets de valeur. Afficher est donc bien faire entrer dans l’intimité, mais également contribuer à la construction du mythe autour de l’objet aimé.


La constitution d’un lien ?

Ainsi, l’image de la star va passer de l’univers mouvementé du cinéma à l’image figée de l’affiche. Cette affiche, avant d’atteindre la chambre, sera certainement passée par l’univers télévisuel. L’image arrêtée se prête alors à toutes les confidences, à une nouvelle intimité entre le fan et sa star. Il s’agit de la construction d’un rapport très personnel entre soi-même et la star (elle seule pourra voir ce qui se passe dans la chambre), ainsi que d’un rapport collectif, qui va faire du fan le membre d’un groupe. « À vrai dire, les stars accroissent les solitudes et les participations, mais les unes et les autres ne s’annulent pas ; elles constituent les solitudes et les participations que développe l’évolution de l’individualité contemporaine ».
Observons tout d’abord le phénomène (possible) de participation. Nous avons vu qu’afficher consiste à signifier. Signifier l’appartenance à un groupe, dire son goût pour un genre, mais surtout pour une personne, celle qui figure sur l’affiche. Ici, l’étudiant qui manifeste cette appartenance produit du sens quant à la formation de son identité. Il s’agit de l’importance du groupe dans la relation aux objets culturels. Il peut (mais pas toujours) se sentir appartenir à une communauté. Pour Dominique Pasquier, la communauté de fan est « la communauté qui se met socialement en scène de la manière la plus visible. Le fan est quelqu’un qui se montre comme fan ». La sociologue montre que les fans se sentant appartenir à une communauté n’hésitent pas à communiquer sur leurs diverses collections, qui sont autant de signes d’appartenance au groupe. Le fan est entouré, intégré à des réseaux d’échange et de discussion, ce qui lui permet d’acquérir un statut particulier, dépassant celui de simple spectateur.
Cependant, chaque personne, chaque étudiant qui affiche n’appartient évidemment pas à une communauté de fan. Il est susceptible d’appartenir à ce que Daniel Dayan et Elihu Katz nomment une communauté imaginée et qui est tout aussi importante que l’appartenance à des communautés plus réelles. Daniel Dayan considère qu’être un public c’est procéder à une présentation de soi, se livrer à une performance . Ainsi, un public adopte nécessairement une attitude réflexive, et « son existence passe par une capacité à s’auto-imaginer, par des modes de représentation du collectif, par des ratifications de l’appartenance ». Appartenir à la communauté imaginée, c’est accepter de rejoindre un groupe imaginaire, une « fiction de public » avec laquelle on construit un lien d’appartenance. Dès lors, afficher son goût pour un film, c’est accepter d’entrer dans la communauté imaginée des publics de ce film, et entrer dans une fiction de public en acceptant de la co-construire.
Il peut donc exister un lien à une communauté de fans, il existe plus vraisemblablement l’appartenance à une communauté imaginée, mais il existe également un rapport relativement solitaire entretenu entre le fan et la « star affichée », il est question de la création d’un lien. Ainsi, « se sentir proche de quelqu’un qu’on ne connaît pas n’est pas une attitude aussi irrationnelle qu’il pourrait y paraître ». Dominique Pasquier observe que ce lien réussit à s’inscrire dans le quotidien, durant un moment de la vie de l’adolescent, et qu’il est susceptible de disparaître aussi vite qu’il est apparu. Ce lien personnel, intime, peut non seulement avoir un rapport à une personne, une star, mais plus largement, il peut être question du rapport au film, considéré parfois comme une œuvre culte.

Afficher l’objet d’un culte

Finalement, l’affiche de film change plusieurs fois de rôle : ses passages à la télévision, puis aux devants et dans les cinémas, dans les lieux publics puis dans l’espace privé lui confèrent des fonctions toujours différentes. Mais, en effectuant le passage à la chambre, l’affiche, et le film dont elle témoigne, acquièrent un statut particulier, qui peut ressortir à la notion d’œuvre culte. Il est question de la mise en avant d’une œuvre qui a produit chez le spectateur un ou des effets suffisamment rares pour tenter de prolonger cette expérience. La notion de culte « concerne les fans et plus largement les publics lorsqu’ils expriment leurs goûts et placent des œuvres au sommet de leur hiérarchie. Lorsqu’un individu s’attribue une œuvre culte, il fait souvent référence à des émotions intenses, il remémore des périodes de l’existence affectivement chargées, il cristallise des stratégies d’affirmation de soi ». Effectivement, « le statut artistique du film ne dépend pas du seul spectateur », et de nombreux discours l’incitent à voir le film comme une œuvre. Cependant, ce qui nous intéresse ici est moins le fait qu’une œuvre puisse accéder au rang de culte sous l’effet d’un groupe de fans que l’accès du film au niveau du culte par l’affichage d’un seul individu qui peut ou non se sentir appartenir à un groupe. Il s’agit donc là d’un rapport personnel, d’une relation spectatorielle singulière. Ainsi, « tout film peut être considéré comme un film-culte (et) il n’y aurait pas de film-culte mais des spectateurs qui aiment « trop » certains films jusqu’à en faire des objets de culte ». Ici, l’éventuel visionnement répété du film lui confère le statut d’œuvre culte, mais c’est surtout le fait que le spectateur collectionne des objets et les mette en avant qui l’érige l’œuvre en objet de culte. Il est question de l’exposition de sa propre fascination.
Nous retrouvons naturellement ici l’aspect télévisuel. Les chaînes, par leurs émissions qui parlent de cinéma, mais aussi par la diffusion des films, ou d’autres lieux dans lesquels il est question de cinéma, conduisent à ériger le film en œuvre culte et à faire du film un objet du désir. Le culte, relève Eric Maigret, « est incontestablement considéré comme un phénomène englobant le télévisuel », il serait en partie construit par celui qui l’érige. En somme, le culte est une question de personne, et votre objet de culte a peu de chances d’être celui de votre voisin, ce qui est plutôt rassurant.
Le goût cinématographique lorsqu’il s’énonce aussi ouvertement dans l’affiche accrochée ou plus discrètement dans les conversations fonctionne comme une sorte de projection de soi-même, qui s’énonce pour soi comme un pari et pour celui ou celle qui la perçoit comme une promesse. D’où son importance dans les dispositifs de socialisation et notamment dans les dispositifs de socialisation estudiantine où la pratique cinématographique est la seule à être partagée par l’ensemble de la communauté. Contrairement à un contrat, qui engage toutes les parties qui le signent, le pari est un acte unilatéral qui n’engage que celui qui parie: « C’est un énoncé – précise Paul Ricoeur - qui fait ce qu’il dit ». Et c’est bien parce qu’il s’agit d’un pari que l’on peut parler à propos de ce que dit la pratique cinématographique d’une pratique culturelle de socialisation. Comme l’indique Clément Rosset « les images de cinéma qui nous ont frappé enfant continuent à mener en nous, souvent à notre insu, leur vie souterraine et à influencer notre vie intellectuelle lorsque nous devenons adolescents puis adultes […] L’histoire racontée par le film se découpe en séquences hachées les unes par rapport aux autres, la compréhension des « intervalles instantanés » qui séparent ces séquences étant laissée à l’initiative des spectateurs, dans la mesure où leur signification est tenue pour implicite » . C’est sans doute lorsque l’on décide de comprendre ce qu’il y a derrière cet implicite que l’on peut entendre commencer à mener une enquête sociologique qui aspire à saisir comment on devient spectateur de cinéma, comment le spectateur que l’on est ou que l’on prétend être représente un promesse quant à l’humain porteur de « goûts » avec lequel on pourra ou non échanger. Lorsque l’on est étudiant, tout comme l’univers intime de la musique que l’on écoute, on tend à accorder une confiance particulière à l’univers cinématographique qu’autrui nous propose et cela justement parce que ces univers-là ne relèvent pas directement de l’apprentissage scolaire. Ils signent et signalent des inclinations communes, des terrains possibles d’entente car ces derniers résultent malgré tout d’une formation à ces significations implicites laissées à l’initiative de chacun. On « reconnaît » l’autre lorsqu’on pense qu’il s’est saisi des mêmes initiatives que soi. Et l’on est particulièrement attentif à cette reconnaissance d’autrui durant ces périodes de formation que sont les études universitaires, spécialement structurantes dans la construction de son « petit soi » culturel.
Pour quatre étudiantes et trois étudiants sur une quinzaine interrogés assez longuement, on a pu remarquer que l’affiche de cinéma qu’ils avaient accroché chez eux représentait leur acteur préféré. Mais, comme l’a déjà remarqué ailleurs Emmanuel Ethis , on pouvait constater chez ces derniers un détail singulier : toutes ces affiches étaient à la fois « à portée de bouche » et étaient toutes légèrement usées à la hauteur des lèvres de l’acteur. Il nous est impossible d’en tirer là une quelconque conclusion d’ordre général à propos du fétichisme cinéphilique chez les étudiants. Ce détail méritait toutefois d’être souligné à l’aune de ce travail pour reposer la difficulté effective qui existe lorsque l’on se confronte à la compréhension du sens que chacun d’entre nous place dans les objets culturels que l’on tente de s’approprier.
L’affiche durant son parcours, et selon ses usages, revêt plusieurs valeurs, et qu’il soit question de la constitution d’un lien (qui peut avoir diverses formes), d’un rapport entre un fan et une star, ou plus simplement un spectateur et un film, nous sommes face à un acte d’énonciation, acte qui est l’occasion pour celui qui affiche de dire, de se dire.


Avignon / Les Angles, 20 mai 2005

mardi, mai 01, 2007

Commission Jedi - vendredi



Comme je n'ai guère trouvé d'informations moins techniques et moins administratives sur les commissions de spécialistes que celles disponibles dans le message précédent, j'ai finalement trouvé que le blog suivant ne correspondait pas si mal à l'idée que je m'en fais. Les universitaires qui savent ce qu'est une commission de spécialistes m'excuseront de la maladresse de cette représentation, c'est seulement vendredi que j'entame la deuxième vague de ma première campagne de recrutement : les auditions. Mais qu'on se rassure dans la hiérarchie Jedi, je sais déjà que si être doctorant, c'est être padawan, aspirer à devenir maître de conférences ne veut pas dire prétendre au niveau maître Jedi, mais celui de chevalier Jedi. La maîtrise est réservée aux directeurs d'études et aux professeurs des universités. Que les spécialistes de star wars me pardonnent ce sacrilège.

Padawanement vôtre.


http://lorl.free.fr/ojedi.htm

"L’Ordre des Jedi est très ancien, datant de plus d’un millier de générations. C’est une réunion d’individus qui ont en commun leur croyance et leur respect en la Force, une sorte de pouvoir extrasensoriel permettant de comprendre et de modifier son environnement. Au cours des siècles florissants de la République galactique, les Jedi furent ses serviteurs en tant que gardiens de la paix et de la justice.

Le siège de l’ordre est le Temple Jedi, situé à Coruscant, dont les tours dominent les structures de la cité-planète. Il est gouverné par un Haut Conseil de 12 membres, composé essentiellement de maîtres Jedi, qui par leur sagesse peuvent contempler la véritable nature de la Force. Le Haut Conseil est la principale interface entre les Jedi et le gouvernement de la République.

Pour devenir Jedi, un profond engagement et un grand sérieux sont nécessaires. L’instruction Jedi est rigidement structurée et codifiée afin d’éviter toute transgression à la discipline. En effet, un élève impatient qui échouerait lors de sa formation, pourrait être attiré par le côté sombre de la Force, et devenir ainsi une sérieuse menace.

Les candidats Jedi sont détectés et recrutés dans l’ordre alors qu’ils ne sont encore que des enfants, ils doivent alors couper tout lien avec leur famille d’origine. Au premier stade de l’entraînement, un maître Jedi peut instruire un groupe de plusieurs aspirants. Au terme de cette période de maturation, chaque apprenti Jedi est alors couplé avec un maître, pour les phases suivantes de l’instruction. Conformément au Code du Jedi, un maître ne peut avoir qu’un seul " Padawan " à la fois. Vers la fin de sa formation, le Padawan doit ensuite passer des tests, avant d’être admis au rang de " Chevalier ". Enfin, le dernier grade dans la hiérarchie de l’ordre, est celui de " Maître Jedi ". Ce stade est réservé aux chevaliers ayant fait preuve de talents exceptionnels dans leur relation avec la Force. C’est parmi les Maîtres Jedi que sont choisis les membres du Haut Conseil."