vendredi, février 09, 2007
Théâtre National Populaire-PeopleExercices de styles
Théâtre National
Populaire-People
Exercices de styles
Festival means (a) a sacred or a profane time of célébration, marked by special observances ; (b) the annual celebration of a notable personn or event, or the harvest of an important product ; (c) a cultural event consisting of a series of performances of works in the fine arts, often devoted to single artist or genre ; (d) a fair ; (e) generic gaiety, conviviality, cheerfulness. Similar common-language uses are to be found in all Romance languages .
Cette définition a le mérite d’être claire et tend vers une exhaustivité conceptuelle : son objectif n’est pas de discriminer, discrétiser la notion de festival parmi d’autres, mais bien d’englober tout ce qui pourrait être un festival. De ce fait le Festival d’Avignon ne l’épuise qu’en partie. Cette polysémie de la notion de festival vient de sa plasticité. Beaucoup ont une idée précise de ce qu’est un festival, de sa pratique d’un festival, sait manifestement pointer du doigt un festival, le critiquer même et pourtant, définir la notion le festival est des plus compliqués. Le festival est un dispositif et une forme dont le festival d’Avignon est une modalité d’investissement parmi d’autres. Cependant, le festival d’Avignon n’est pas n’importe quelle forme puisqu’elle a la capacité de remodeler la définition de ce qu’est un festival.
Le « cas » Avignon
Dans ce texte, nous allons revenir sur ce que peut être le « cas » Avignon. Généralement, penser par cas, c’est penser par subsomption : subsumer c’est considérer un fait comme compris sous une loi, le particulier sous le général – par un exemple, un individu sous une espèce, une espèce sous un genre-. Emmanuel Kant parle de ramener la diversité des données de l'intuition à l'unité des concepts purs de l'entendement.
En droit, un cas est n’importe quelle « cause » que l’on plaide et à laquelle le juge doit appliquer une ou plusieurs règles de droit, sans que cette application fasse problème, mais ce peut être aussi un « cas difficile », qui peut relever de plusieurs règles dont les prescriptions ont des conséquences qui sont en conflit. Ici, la subsomption pose problème. Appliquer un concept universel, ou une règle (Kant relie les deux notions) à un cas particulier peut faire problème soit parce qu’on a un concept, mais pas de cas concret qui lui corresponde (concept vide d’intuition), soit parce qu’on a un cas concret, mais pas de concept qui lui corresponde (intuition sans concept), soit parce qu’on plusieurs concepts qui semblent pouvoir chacun s’appliquer au cas, mais que ces applications et les inférences qu’elles déclenchent, entraînent des incompatibilités. […] Mais, et c’est là qu’il faut donner tort à Kant, aucun domaine n’est jamais, à un instant quelconque donné, totalement catégorisé d’une manière qui garantisse l’exclusion des conflits .
Le Festival d’Avignon relève de ce troisième point problématique de subsomption qui « entraîne[…] des incompatibilités ». En effet, à l’aune de nos
entretiens, on remarque combien « Avignon » peut, en tant que cas, être en mesure de subsumer un grand nombre de concepts : tout d’abord, celui de festival, de théâtre, mais également celui de démocratisation, de décentralisation culturelle, et encore de public, de vacances, de style de vie culturel, de Sud… En fait, si autant de concepts relevant de la culture, de la famille, de l’économie, du politique, du style de vie sont mobilisés par le Festival d’Avignon et la notion de festival, c’est parce qu’ils correspondent à ce que Marcel Mauss introduit dans l'Essai sur le don comme la notion de Fait Social Total. Le fait social total donne une signification globale de la réalité. Il n'est pas une accumulation arbitraire de détails. Il est défini dans l'espace, dans le temps, chez un individu d'une certaine société.
Les festivaliers comme des « cas »
La considération méthodologique du « cas » Festival d’Avignon en tant que fait social total implique que ses participants soient considérés eux-mêmes en tant que cas. Décrivant sa posture méthodologique développée dans son ouvrage sur Les Adonaissants , François de Singly signale que l’application d’une une analyse classique de contenu –selon un découpage par thème- revient à faire disparaître, au sein de leur récits, leur processus d’individualisation. De la même manière qu’il prend « l’option de dessiner des portraits afin que soit conservée l’unité identitaire du jeune et qu’au-delà ne soit pas déconstruit son processus d’individualisation », les festivaliers ont été considérés comme des cas. Cela ne signifie pas qu’ils aient une identité monolithique, puisqu’on l’a vu dans le récit d’eux-mêmes des contradictions peuvent tout à fait voir le jour : on pense à cette femme qui dit qu’elle ne va jamais dans les débats alors qu’elle a été rencontrée sur le lieu d’un débat, qu’elle va au théâtre toute seule, alors qu’elle dit qu’elle a mis sept ans à y aller avec des avignonnais. S’ils ont un souci de « maintien de soi » dans leur identité, ils ne sont pas obsédés par un souci de super-cohérence de leurs pratiques et leur discours. C’est incontestable, le « moi » ne se réduit pas à ses appartenances, à ses positions, à ses statuts. La distinction entre les deux dimensions identitaires n’implique pas que les appartenances, les positions que les appartenances, les positions, les statuts n’ont aucun sens pour l’individu qui ne serait heureux dépouillé, que désaffilié (de Singly, 2005c). Elle affirme que l’individu dispose d’un pouvoir sur lui-même qui l’autorise à juger ce qui est pertinent pour lui [et cela, y compris dans sa façon de se décrire].
En « cas » de transmission
Penser par cas a été aussi le lieu de subsomption de ce qui peut paraître comme une contradiction, une incompatibilité, une rupture dans la transmission culture. Ainsi, Dominique Pasquier pointe « la rupture d’un modèle transmitif ».[…] Pour elle, « le constat nouveau, c’est qu’il n’y a plus de transmission volontaire de la part des parents. Le rapport à la culture humaniste [dont la figure exemplaire est le théâtre], héritée, s’est complètement perdu, y compris chez les enfants d’origine favorisée. On observe, en revanche, un renforcement des relations entre pairs et de la pression culturelle imposée par les groupes, surtout pour les garçons » . La transmission culturelle est dans ce cas dans une pensée générationnelle du bloc contre bloc. Or, on a pu repérer y compris dans une transmission culturelle de la culture humaniste, dont le Festival d’Avignon est une figure exemplaire, l’importance de phénomène de coopération entre divers groupes – famille d’origine, famille générée et le monde-. On peut attribuer cela au fait que les transmissions culturelles en jeu chez les participants au Festival d’Avignon ne concernent pas le même rituel de passage que les lycéens étudiés par Dominique Pasquier – de l’enfance l’adolescence pour ces derniers, passage à l’âge adulte pour les festivaliers-. François de Singly remarque qu’« à l’entrée de l’adolescence, […] la découverte d’un « soi profond », d’une intériorité personnelle, ne préoccupe pas les jeunes. Elle ne viendra qu’après, lorsque le « nous » familial de référence sera suffisamment déstabilisé par le « nous » générationnel, ou lorsque ces deux « nous » auront coexisté assez longtemps pour que la conscience de soi naisse ». On voit ici s’esquisser une dynamique de la transmission culturelle tout au long de la vie et c’est à cette condition qu’on arrive à retrouver des traces de ce que Dominique Pasquier, faisant référence aux travaux de Laurence Le Douarin, nomme la rétrosocialisation :
Les parents sont en effet aujourd’hui confrontés à un problème de taille : généralement, ils savent moins bien se servir des nouvelles technologies de communication que leurs enfants. Face à un cas de figure inédit : la transmission des apprentissages et usages s’effectue en « sens » inverse, des enfants, ce qu’on appelle la « rétrosocialisation » .
Ce processus que l’on pu retrouver à l’œuvre dans la transmission culturelle depuis la Festival d’Avignon a été pointé et qualifié selon les termes de Gérard Lenclud en tant que filiation inversée. Il s’agit donc de dépasser ici la logique de palmarès -« Qui sait mieux que qui ? »- qui, certes, permet d’interroger les spécificités culturelles au niveau d’une génération d’appartenance, mais empêche de voir la transmission comme une coopération, une collaboration. En fait, « le raisonnement par cas peut avoir un autre sens que celui de parcourir la liste de tous les « cas catégorisés » (en fait, il s’agit de toutes les sous-classes). Il peut s’agir au contraire de raisonnement sur un cas pour le déterminer dans sa spécificité, voire dans sa singularité ».
Spécificité de la transmission culturelle
La transmission culturelle doit être considérée dans sa spécificité et non en tant que sous-classe de la transmission et souvent confondue avec la transmission économique.
Transmettre, au sens général : c’est faire passer une chose d’une personne à une autre.
Transmettre économiquement : se défaire d’un bien économique que l’on a et le donner à quelqu’un qui en veut bien.
Transmettre culturellement : c’est faire passer quelque chose que l’on a sans avoir à s’en défaire et ainsi pouvoir le donner à quelqu’un qui peut le prendre sans avoir obligatoirement reconnaître cet échange.
Transmettre le Festival d’Avignon : c’est transmettre une médiation, c’est-à-dire transmettre un conflit et son règlement.
L'échange est pour Mauss, le commun dénominateur d'un grand nombre d'activités sociales en apparence étrangère les unes par rapport aux autres. Il voit dans Essai sur le don que trois obligations : donner, recevoir, rendre. Ces trois obligations constituent la prestation totale. Il peut bien sûr ne pas voir les biens échangés qu’à travers ceux qui possèdent des propriétés physiques. Pour lui, l'échange peut aussi s'appliquer à des dignités, des charges ou des privilèges. « Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l'a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour. Ce n'est pas sortir du domaine germanique que de rappeler le curieux essai d'Emerson, On Gifts and Present . La charité est encore blessante pour celui qui l'accepte , et tout l'effort de notre morale tend à supprimer le patronage inconscient et injurieux du riche « aumônier »409 . Marcel Mauss se retrouve là face un dilemme : soit l'échange est l'acte d'échange lui-même, soit l'échange est d'une nature différente que l'acte et alors par rapport à lui l'acte d'échange deviendrait un phénomène secondaire. On peut imaginer aussi que l’acte de transmission puisse simplement être tu. En effet, que répondre à la question « que rendre à celui qui transmet culturellement ? » On ne peut rendre à celui qui a transmis ce qu’il a encore : devient-il « injurieux » comme le « riche «aumônier » » ?
La transmission culturelle dans son échange ne se résout pas dans un don/contre don, mais plutôt dans la reconnaissance de cette transmission dans la parole et le récit de soi ou bien alors dans le silence d’une transmission que l’on tait. Cette substitution du reconnaître dans la parole et le récit de soi ou du « taire » dans la transmission culturelle au don/contre don pose une des contraintes méthodologiques, comment interroger un silence signifiant au cours d’un entretien ? À propos du traitement des questionnaires, Jean-Claude Passeron pose cette contrainte en termes bénéfiques en ce qui concerne la production de données quantitatives :
« La plupart des sociologues savent bien que, face à une question déterminée (pour autant qu’on en suppose monosémique la compréhension pour tous) et dans une situation donnée de questionnement (pour autant qu’on la suppose « standardisée »), toute abstention livre une série d’informations, puisqu’elle informe par différence et, plus précisément, par la somme de toutes les différences qu’elle instaure : pour peu que ces différences se laissent construire en système de relations, l’énonciation qu’elle autorise n’est ni moins riche ni d’une autre forme que n’importe quelle énonciation empirique sur une réalité sociale ».
Interroger comment la transmission culturelle est tue, c’est transformer le silence en non-réponse. Ce processus implique de discriminer le silence lié à la question, de tout le silence qui entoure la parole –« le construire en système de relations, l’énonciation qu’elle autorise »-. Le problème qui se pose alors est un problème d’interprétation et de choix théoriques car « apparemment, il n’y a aucune différence entre le silence d’un maître zen et le silence d’un idiot du village – puisque dans les deux cas, le contenu du message est réduit à rien ; [mais poursuit-il] toute la différence, à quoi tient l’effet pédagogique de l’enseignement par le silence réside dans les statuts respectifs du maître et du disciple, c’est-à-dire une relation sociale faite de respect préétabli et de crainte magique ».
Plus généralement, la reconnaissance de la transmission culturelle est une mesure de conscience de celle-ci par le cas. Le cas est alors convoqué pour montrer comment les différentes hypothèses constituent des contextes les unes pour les autres. […] Si un cas sert de défaiseur à plusieurs règles d’inférences normales, on peut d’ailleurs se demander quel lien ces règles ont entre elles. Mais il est aussi possible que seul ce cas –parmi tous les cas recensés- défasse toutes ces règles à la fois. […] En fait, c’est bien plutôt montrer comment, sur un cas, les différentes approches se pondèrent et soit se renforcent soit s’affaiblissent, voire se contredisent les unes les autres. Le cas est ici pris soit comme « renforceur», soit comme « défaiseur» . Les différents cas de transmission culturelle sont ainsi convoqués comme « renforceur » ou « défaiseur » de la conscience de celle-ci. Ainsi, la conscience de la filiation inversée, ou rétrosocialisation, est à certainement plus présente dans les nouvelles technologies de la communication, mais aussi plus facilement reconnue par une génération pour qui elles n’ont pas été un enjeu aussi distinctif que pour la génération des lycéens décrite par Dominique Pasquier.
Chez les lycéens, la culture dominante n’est pas la culture de la classe dominante mais la culture populaire.[…] Tout d’abord, les produits de la culture de masse sont des formes culturelles, sont des formes à cycle court et à fort renouvellement – par opposition aux produits de la culture consacrée, qui jouent sur le temps long. À ce titre, ils sont bien adaptés au principe d’autonomie culturelle qui caractérise les générations actuelles. […] L’héroïsation de tout ce qui touche aux cultures populaires a probablement aussi à voir avec les ressources en termes de stylisation. Ce n’est pas un hasard si les musiques d’origine ethnique, comme le rap, suscitent le travail de présentation de soi le plus actif. Dès le début, ces musiques ont été intimement associées à des signes d’appartenance extérieurs, des coupes de cheveux, des vêtements, des sports, une appropriation particulière de l’espace urbain et du langage .
Le « problème de taille » relevé par Dominique Pasquier devant ce qu’elle appelle un « cas de figure inédit » relève de ce que François de Singly appelle une :
« peur de l’inversion (adolescents adultes, adultes adolescents, etc.) [qui] traduit dans la profondeur des choses une résistance devant l’individualisation, processus central de la période actuelle (Beck, Beck-Gernsheim, 2002). Qu’est-ce que l’individualisation ? C’est le droit pour tout individu de ne pas être défini par une place, par sa place dans l’ordre des générations, des sexes, ou encore dans telle ou telle institution. . Un garçon ou une fille n’est pas seulement « fils de » ou « fille de » même avec ses parents, tout comme une femme n’est pas seulement « épouse » même lorsqu’elle est avec son mari. Chacun est défini comme auparavant par sa place, mais il peut également être considéré en tant qu’individu. Cette nouvelle manière de définir les individus dans nos sociétés bouleverse les barrières traditionnelles dressées entre les âges, les genres, les orientations sexuelles. Elle engendre, c’est incontestable, un certain flou, puisque les enfants ont désormais des droits sans attendre l’âge adulte. Mais cela ne signifie en rien que l’enfant devient un adulte, à moins de présupposer que les droits des personnes sont réservés aux adultes. […] Ce dédoublement identitaire (avoir toujours au moins deux dimensions) ne supprime, pas soulignons-le pour éviter les malentendus, les différences de position, de taille symbolique entre les individus, mais il ouvre la possibilité de ne pas être seulement défini par sa position, sa taille » .
En fait, l’individualisation à l’œuvre à l’heure permet à l’individu […de] choisir la ou les manières d’être lui-même, avec des emprunts qui ne sont pas limités à [sa génération] .
Transmettre un style : le « staïle »
Se centrer sur des cas ne doit pas faire oublier que l’affirmation de soi des publics d’Avignon ne procède qu’en référence à des modèles, des genres, des attitudes qui fournissent des cadres de références, des cadres de la mémoire individuelle et collective, qui permettent de faire coexister les tensions multiples qui fondent la carrière d’un festivalier. « Travailler « par cas » [permet d’…] approcher ce jeu complexe entre les composantes de toute action – le système de valeurs ou l’idéologie dominante, les ressources, le cadre de référence, l’interaction et le projet réflexif de l’individu - » . À l’écoute des différents récits de vie construits par les spectateurs d’Avignon à partir du festival, on a pu relever combien l’événement lui-même, le « Festival d’Avignon », était en mesure d’offrir aux festivaliers qui le racontent et qui seracontent un véritable « réservoir symbolique ». Ce réservoir symbolique, façonné dans la durée, a permis de définir à Avignon une sorte de panoplie qui peut parfois faire songer qu’il existe un « style de vie festivalier ». Dans la saison 6 de la série Les Simpson, lors d’un épisode intitulé « Burns fait son cinéma », la ville de Springfield, décor des aventures de la famille moyenne éponyme de la série, est déclarée « la moins attirante d’Amérique que ce soit sur le plan des sciences […ou] sur le plan de la culture. C’est une catastrophe ! Plus personne ne voudra venir à Springfield ». Une réunion est organisée à la mairie :
Oh, enfin une bonne raison de se maquiller !
Le maire prend la parole : « Avez-vous des suggestions pour attirer des touristes dans notre ville ? »
Après quelques interventions, Marge Simpson monte à la tribune et prend la parole :
Marge : « Je m’appelle Marge Simpson et je crois avoir une idée ».
Dans l’assistance : [en groupe] « Oh, non ! » [un homme] « Elle va encore nous prendre le chou ».
Marge : « Je sais que vous n’avez pas toujours apprécié mes suggestions comme celle de passer au système métrique ».
Dans l’assistance, le grand-père Simpson se lève et crie : « Le système métrique, c’est une invention du démon ! Ma voiture roule à quarante lieues avec deux galons d’essence, et si vous êtes pas contents, c’est pareil ! »
Le maire : « Cette remarque ne figurera pas au procès-verbal ».
Marge : « Ce que je propose n’a rien à voir : il s’agirait de créer un festival de films avec une remise de prix ».
Le shérif : « On pourra présenter nos propres films ? »
Marge : « Oui ».
Le shérif : « Oh, enfin, une bonne raison de se maquiller ! »
Le maire : « Qui est pour le festival de films proposé par Marge ? »
L’assistance en groupe : « Le festival ! Le festival ! Le festival ! »
Marge : « Vous aimez mon idée ? J’en ai un tas d’autres si vous voulez ? »
L’assistance en groupe : « Faut pas charrier ! Faut pas charrier ! Faut pas charrier ! »
Bien que relavant d’une culture nord-américaine, les échanges qu’ont entre eux les personnages des Simpson montrent à leur manière que le dispositif et la forme « festival » renvoient à une représentation qui conduit toujours une ville et ses habitants à prendre en charge des transformations pour faire symboliquement exister cette forme et ce dispositif « festival »., on repère une transformation des corps souvent associée trop rapidement au carnaval. Cependant que cela soit pour « le shérif » ou les « dames » de la chanson Festival d’Aubervilliers qui respectivement trouvent « une bonne occasion de se maquiller » et de se faire « une beauté », il ne s’agit pas de travestissement, ni d’inversement, mais bien d’une construction de soi en s’affirmant au moyen d’une tenue de cérémonie culturelle –certainement pas liturgique ni même un uniforme- : elle doit permettre de s’affirmer en fonction de la reconnaissance et de la conscience d’un dispositif. Cette transformation du lexis corporel de passant en spectateur est généralement associée à l’événement culturel : on imagine aisément ce qu’est une « tenue » pour aller à l’opéra, au théâtre, cependant moins clairement au cinéma. La notion de festival a ébranlé cette opposition trop évidente de préparation à la pratique culturelle. En effet, que cela soit dans son récit ou en vrai, la Cour d’honneur, reste un lieu particulier à tous points de vue- ses participants peuvent « en être » en étant dans la même tenue à ville comme à la scène.
Ces transformations sont, au demeurant, souvent lisibles et organisent un authentique système d’interreconnaissance entre tous ceux qui participent au « festival ». Ceux qui tractent pour les spectacles Off à Avignon ont ainsi développé une expertise sur ceux qui sont ou ne sont pas des festivaliers et savent en général très justement à qui distribuer leurs publicités. L’observation nous a appris que certains d’entre eux, les plus aguerris, parviennent à reconnaître les avignonnais en tenue de travail, et les mêmes lorsqu’ils adoptent une tenue, une attitude de « festivalier ». Les deux extraits de chanson qui suivent - « Festival d’Aubervilliers » de Philippe Clay et « Le Monologue Shakespearien » de Vincent Delerm – illustrent bien l’idée qu’être festivalier implique le fait d’adopter tantôt une tenue, tantôt une attitude particulières :
Fais-toi une beauté, laisse tomber Paname
Festival d’Aubervilliers, les rues sont lavées, essuyez vos pieds, emmenez vos dames, /Allongez, allongez vos tickets d’entrée,/Sors ton nez de d’ssous l’oreiller, allume tes quinquets, fais-toi une beauté, laisse tomber Paname,/On va s’en, on va s’en payer !
Demi-citrons […]Pepsi cola
Dans les rues d’Avignon y a des lumières la nuit/ On boit des demi-citrons et on se photographie/ À la table d’à côté ils ont vu un Beckett/ Dans les rues d’Avignon il y a des projets balèzes/ Demain à 23 heures je vais voir une pièce polonaise/ Dans les rues d’Avignon y a du pepsi cola/ Et puis y a une fille qui dit bah en fait je viens de Levallois/ On est parti avant la fin/ Du monologue shakespearien/ Parti avant de savoir/ Le fin mot de l’histoire/ On a planté en pleine nuit/ L’Archevêque de Canterbury/ On a posé un lapin/ Au monologue shakespearien .
Les deux extraits de chanson précédents montrent deux rapports différents aux dimensions populaires de la notion de festival. Les paroles de « Festival d’Aubervilliers » chanté par Philippe Clay avec un accent de titi parisien relèvent d’un registre populiste. Cette magnification de la classe populaire par Philippe Clay assez similaire à celle pratiquée par un Michel Audiard se déploie dans d’autres de ses chansons -« Mes universités, c’était pas Jussieu, c’était pas Censier, c’était pas Nanterre/ Mes universités/ C’était le pavé, le pavé d’Paris, le Paris d’la guerre/ On parlait pas d’Marxisme/ Encor’ moins d’Maoïsme/ Le seul système, c’était le système D/ D comm’ débrouille-toi/ D comm’ démerde-toi/ Pour trouver d’quoi/ Bouffer et t’réchauffer […] »-. Dans De son côté, « Le Monologue Shakespearien » de Vincent Delerm met en œuvre un rapport misérabiliste face au festivalier d’Avignon idéal qu’il fait parler à la première personne se photographiant et buvant comme Monsieur Toutlemonde des « demi-citrons » et « du pepsi cola » en vacances mais qui par hypercorrection s’oblige à voir des pièces qu’il faut aimer, finalement, pense à ses « vacances dans deux ans sur le plage de Bénodet » : posture ironique de Vincent Delerm, qui adopte, alors même qu’il prétend s’en détacher l’une des attitudes socialement les plus repérables à Avignon : celle de celui qui part avant la fin du spectacle.
L’extrait retranscrit de la série Les Simpsons interroge une dimension plus anglo-saxonne de la popularité comme opportunité d’existence et palliatif à un défaut d’image. Comme à Springfield, on a pu voir éclore nombre de manifestations labellisées « festival » dans l’espoir de revivifier notamment des zones rurales. Loin d’être autant d’échecs, ces événements, qui parfois de festival n’avaient que le nom, associés à un propos artistique, un territoire propice par sa géographie et sa population exemplifient la dimension performative d’un label : on pense ici au Festival des Vieilles Charrues ou au Festival du Bout du Monde de Morgat.
Au regard de ces exemples et de l’ensemble des récits des festivaliers que nous avons interrogés à Avignon, on peut être en mesure de penser que le dispositif et la forme « festival » renvoient aujourd’hui à des significations sociales stabilisées et ce même si nombre de manifestations auxquelles on assiste aujourd’hui s’attribuent le nom de festival sans en posséder ni la forme, ni le dispositif. Au reste, ces dernières ne connaissent jamais plus de trois ou quatre éditions. Et pour cause, si un festival ne parvient à pas devenir ce réservoir symbolique dont nous parlions ci-avant, à fournir des ressources de stylisation à ceux qui y participent, il est sans doute destiné à disparaître. En ce sens, on peut penser qu’Avignon qui vient de fêter ses soixante ans est l’abri d’une disparition prochaine, et ce même si l’on rencontre régulièrement des festivaliers qui s’interrogent sur l’avenir d’une telle manifestation dans un monde saturé par les industries culturelles, les médias qui les accompagnent et la valorisation populaire de la culture people. Peut-être peut-on reposer cette question en se demandant si le style de vie festivalier correspond-t-il à une manière actuelle de pratiquer la culture ?
On peut relever que le réservoir symbolique qu’est le Festival d’Avignon est tel qu’il a permis à la manifestation de faire cette année, et pour la première fois, l’objet d’un reportage dans Voici. L’hebdomadaire « Élu magazine people de l’année ». Ainsi le numéro du 26 juin 2006 nous propose-t-il, dix jours avant les débuts de sa soixantième édition, de venir vivre une première fois à Avignon en construisant un parcours de festivalier qui est une lecture très singulière du dispositif et de la forme « festival ».Le Festival d’Avignon est un réservoir symbolique, ressources de stylisation, à même de constituer des attitudes à prendre et des genres qu’on se donne.
24 heures dans la peau d’une festivalière : Offrez vous une première. Et pour ne pas arriver comme une bleue, suivez les conseils de notre journaliste Agathe, pure Avignonnaise.
« Pour vous dégoter des bons plans, notre reporter n’a pas hésité à revêtir le costume local. Bien joué !
9H00 Un petit déj de princesse
10H00 Mon indispensable : le chapeau de paille
12H00 Je m’incruste à la conférence de presse
13HOO Pause caviar… à l’Épicerie
14H30 Natacha Amal en toge, on demande à voir
16H30 On craque pour Gérard Philipe et sa collerette
18H00 Un cornet en gaufrette d’Italie, sinon rien
19H00 Un Deschiens au Chien qui fume
21H00 Apéro et plus si affinités
22H00 Festival de brochettes
00H00 Délire au Délirium
Mais non, vous n’avez pas pris de coup de soleil, c’est un effet de lumière ! »
On peut s’étonner de voir comment voici stigmatise le style de vie festivalier pour le faire entrer dans les normes d’une vie people où la fréquentation des spectacles n’est qu’un élément parmi d’autres comme « l’indispensable chapeau de paille ». Mais cela ne s’arrête pas au « costume local » - en plus « ballon de rouge de rigueur», « rue des Teinturiers », « debout, dehors, les uns contre les autres », on peut rencontrer – précise le magazine - au moment de l’«apéro» « la directrice du Festival d’Avignon [qui] y vient souvent ». Plus généralement, c’est un style de vie « Sud » comme on le constate dans le menu alimentaire de la journée qui est valorisé ici qui au décompte prend entre sept et huit heures sur l’ensemble de la journée.
Buffet royal !
- « Buffet royal, […] mini-viennoiseries et des confitures de Provence […]
- […] jus d’orange pressée […]
- Flan de tomates cerise, magret à la marinade, crêpe à la tapenade et caviar d’aubergine, cake aux légumes provençaux… […] toutes les saveurs de la Provence. Un bon programme !
- Un sorbet, […] ses cornets en gaufrette viennent d’Italie à savourer en regardant les spectacles de rue. […]
- […] brochettes de St-Jacques grillées au caramel balsamique
- […] une coupe de champagne […] bonne surprise : la bouteille est à 30 €.
Le menu d’« Avignon » proposé par Voici permet de rencontrer des peoples dans une « déco hype dans un cadre médiéval et [une] ambiance survoltée » où se côtoient « toutes les saveurs de la Provence, […] l’Italie . Cette carte fait partie de ce Sud réinventé décrit par Jean-Louis Fabiani dont il rend compte au travers d’une figure exemplaire, « le magazine Côté Sud, qui comme son titre l’indique a puissamment, contribuer à diffuser l’image de ce nouveau Sud, les bastides provençales voisinent avec des maisons des Bahamas, du Maroc, ou d’Australie : c’est plutôt par le style de vie d’une classe de loisir venue ordinairement du « Nord » que par une communauté de culture ou de climat que cet espace composite est défini ».
Que le style de vie au Festival d’Avignon par Voici soit réel est peu probable, le régime alimentaire qui y est proposé est assez éloigné économiquement des budgets moyens dépensés durant le séjour des festivaliers :
- Le budget moyen du séjour est de 330 € ; 16% des festivaliers dépensent moins de 60 € ; 14% plus de 600 €.
- Le budget moyen consacré à l’achat de place est de 150 € ; 14% des festivaliers dépensent moins de 45 € ; 24% plus de 200 €.
- La moyenne du nombre de jours consacrés au Festival d’Avignon est de 7 ; 19 % y consacrent moins de 3 jours ; 13% plus de 15 jours ; et 8% une journée.
On le voit, on est loin du compte avec un budget quotidien hors places de théâtre de 25 € qui couvrent à peine « Le petit déj de Princesse » et les « cornets en gaufrette […] d’Italie ». Ce qui importe plus ici est que le Festival d’Avignon est capable d’offrir assez de stylisation esthétique pour se retrouver au côté de « MATHIEU CHEDID fou amoureux de Daphné » ou encore « Clotilde Coureau. Tu parles d’un conte de fées ! ».
On pourrait discuter longtemps de ce que signifie l’entrée du Festival d’Avignon dans l’ère du people et de ses magazines. Que ceux qui s’inquièteraient de cela se rassurent la culture humaniste n’a pas encore envahi cette presse ? Mais cela montre que le Festival d’Avignon est susceptible de mettre en œuvre « l’héroïsation de tout ce qui touche aux cultures populaires [et qui] a probablement aussi à voir avec les ressources en termes de stylisation ». Mais, le Festival d’Avignon est en proie à ce qu’on pourrait appeler un syndrome du bon élève : « Quand je passe des examens, personne ici n’est en peine ; mes succès aux yeux de tous, sont la chose la plus naturelle du monde. Amertume du bon élève. […] Je ne suis pas très fier des pensées que je pense. Il me faudra beaucoup de temps pour comprendre que l’injustice est encore à mon profit dans ce malheureux partage ».
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