jeudi, mars 22, 2007

Cueillir des serments Cette fleur sauvage Qui fait des ravages Dans les cœurs d'enfants



La sociologie, les sciences de l'information et de la communication, et plus généralement, les sciences humaines et sociales n'ont pas développé de rite de professionnalisation similaire au serment d'Hippocrate prononcé dans les facultés de médecine. Pour autant, les chercheurs en sciences sociales ne manque pas d'éthique. Si ces éthiques sont multiples, celles-ci sont rarement en toc comme le poulpe, enquêteur parmi les enquêteurs, nous amènerait à le penser dans un opus intitulé "éthique en toc".

-Malgré tout ce que j’ai pu voir comme saloperies, j’avais encore une certaine considération pour les chercheurs, les universitaires. Avec tout le respect que je te dois, on ne s’étonne plus d’apprendre qu’un journaliste en croque, que ses articles sont aux ordres…
Zill piqua une lamelle de blanc de seiche avec un cure-dent.
-Il n’y a pas d’offense. Si la presse me convenait, question liberté d’expression, je n’aurais pas été obligé de fonder mon propre canard…Pourquoi voudrais-tu que les juges, les avocats, les commissaires de police, les sociologues, les historiens aient l’échine moins souple que les pisseurs de copie ? Ils se connaissent tous, ils fréquentent les mêmes magasins, les mêmes restaurants, les mêmes concessionnaires de grosses bagnoles, les mêmes cocktails. Un véritable fonctionnement consanguin. Ils finissent par penser exactement la même chose au même moment…
Le Poulpe délaissa la seiche, par principe, pour s’attaquer aux poivrons.
- J’avais encore des illusions, à presque quarante ans. Pour moi, les historiens ne pouvaient être que des gens propres.
- Il y en a, bien sûr, mais il ne faut pas généraliser…N’oublie jamais que leur domaine est un enjeu de pouvoir. Celui qui dit l’histoire contrôle le présent et agit sur l’avenir… Tu crois qu’on les laisse bosser tranquillement ? Ils sont attachés à la laisse par l’institution, et ils font là où on leur dit de faire ! Ce n’est pas que le fruit du hasard si dans CNRS il y a CRS.
- C’est facile…Dans CeRiSe aussi…Et dans CaRuSo, CuRiSte ; CuRieuSe, CuRéS…
- Zill ne releva pas l’ironie.
Didier Daeninckx, Le Poulpe. Éthique en toc, Paris, Librio, 2000, pp 82-83.

Au regard de cette excellente aventure du détective, (incarné au cinéma dans une autre de ses aventures par Jean-Pierre Daroussin), la réalité est bien terne : autour de moi, je ne vois guère de diplômes de complaisance -en fait, je n'en ai point vu- : ai-je mauvaise vue ? selon moi, que des professeurs échangistes "échangent" ne les éloigneraient en aucune façon de leur déontologie professionnelle -ils doivent juste veiller à la qualité de l'échange- non ? de la même manière, les professeurs sont, toujours selon mon expérience, rares à truquer les concours -ils sont plutôt, et légitimement, en train de recruter pour ceux-ci- logique ? Mais je dois reconnaître qu'il doit être difficile de faire se dérouler une intrique policière dans une université, si on n'y introduit pas du vrai crime de fiction. Et cela même, si j'ai eu, il y a quelques temps, le désagrément de me faire voler un vélo à l'université, on imagine mal une aventure du commissaire Maigret et le bmx manquant. Comme pour la plupart des univers, Derrick lui-même aurait du mal à nourrir une de ces polies aventures avec l'activité ordinaire même universitaire : enseignement-recherche, parking-vélo et restau U et à moins que... tout cela ne cache complaisance, sexe, trucage (une sorte de sex, drug and rock and roll de l'intrigue policière universitaire). Dans le même sillon de sens, la déception de l'équipe de tournage de la prophétie d'Avignon (saga de l'été de France 2) face à la salle du conseil scientifique de l'université de la dite ville, les a amené à penser installer le vrai conseil scientifique de fiction dans le nouveau gymnase de la fac (voir à ce propos le blog d'Emmanuel Ethis socioblog sur la prophétie d'Avignon).
Ce détour par l'univers fictionnel du poulpe permet de mieux cerner, ce qu'en tant que réservoir symbolique, d'autres diront paradigme, l'université et particulièrement, les sciences humaines, permettent de mobiliser dans la fiction comme représentations. En France, on est loin de Will Hunting où l'université, Massachusetts Institute of Technology, est représentée comme le lieu des puants mais aussi comme le lieu de la mobilité sociale. Cette version de l'institution universitaire, qui n'est certes pas idyllique et rose, est assez éloignée d'une conception cynique, assez répandue dans nos contrées "ça ne sert à rien", "l'école et pire que tout l'université, reproduit les inégalités". Il faut dire qu'un temps historique n'a pas à être cohérent pour servir la cohérence d'un propos, et qu'en même temps, les grandes écoles sont présentées par ceux qui en sortent comme un facteur de démocratisation sociale : c'est sûrement cela l'école de (président de) la république. Mais l'université cinématographique et hollywoodienne entretient aussi d'autres versions de l'université plus criminelles : scream, souviens-toi l'été dernier en sont des exemples de la fac comme lieu de formation identitaire et de la violence qu'elle peut inspirer. Moins hollywoodien mais puissamment inscrit dans cette lignée de l'université comme lieu de construction de soi, Tesis, film d'étudiant d'Alejandro Amenabar met en scène une étudiante dont le doctorat de communication porte sur la violence à l'écran. Autre film, les lois des attractions tiré d'un roman de Bret easton Ellis montre la débauche et les sentiments croisés des étudiants sur le campus dans une tendance que l'on pourrait décrire comme hypermoderne. Chaque univers aurait donc les crimes qu'ils méritent fictionnellement ? Toujours est-il que l'imaginaire universitaire dans les productions audiovisuelles hexagonales semble bien étriqué ? Lorsque cet imaginaire n'est pas réduit à la cafeteria comme dans Hélène et les garçons, où le crime est tout au plus une question de soldes arrêtées ou des retards de Nicolas, (jamais les retards d'Hélène n'ont jamais eu le temps de prendre quelque intérêt narratif que ce soit !). On est bien loin du souffre décrit dans les films précédents. Et, lorsqu'on cherche le souffre universitaire dans nos tendres fictions, il est du côté de l'enseignant et de l'institution. Mais ce souffre n'a rien de flamboyant, non, plutôt, une vilaine odeur qui relève de la petite complicité : quelque chose de pourri au royaume du Danemark mais décrit comme la bourgeoisie provinciale de Flaubert. Le crime fictionnel de l'université est donc la complicité entendue comme la participation à un délit ou à un crime, aide apportée à celui qui commet le délit, entente criminelle.
Les étudiants certainement inspirés par le film de Mathieu Kassovitz "Assassin(s))" avec son sous-titre "Toute société à les crimes qu'elle mérite" m'expliquent que toute société a le cinéma qu'elle mérite : serait-ce le cas de la société des universitaires ? À ces questions sur la "complicité" des enseignants chercheurs, Raymond Aron qu'on taxait d'être entouré professionnellement par trop d'amis répondait qu'il les choisissait bien : ce qui est certainement une position éthique aussi valable que beaucoup d'autres. Mais, c'est ainsi que l'université, comme on l'a dit plus haut, est décrite systématiquement sous l'angle de la reproduction des inégalités sociales. Pourtant, le relevé de cette reproduction des inégalités sociales à l'université par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans les Héritiers n'était pas fataliste mais avait et a pour but originel de dénoncer l'idéologie du don qui sous prétexte d'une distribution égale du savoir (dont la figure exemplaire le cours magistral dans sa définition consiste en l'absence de questionnement et d'interpellation possible de l'enseignant par l'étudiant) masquait les inégalités d'accès au savoir par rapport au milieu social d'origine.Il n'est pas question ici de discuter un ouvrage qui constitue un fondamental de l'apprentissage sociologique, mais de relever cette étrangeté qui fait que ce qu'on fait dire à cet ouvrage conduit trop souvent à réduire les personnes à leur origine sociale et donc finalement à réduire à néant l'événement, perturbateur et fondateur, que doit être une formation dans une vie. L'université et les diplômes doivent êtres aussi regardés comme ce qui permet à chacun de ne pas être résumé à son origine sociale.

À défaut de serment d'Hippocrate, il faut essayer de ne pas être trop hypocrite :

Quand je passe des examens, personne ici n’est en peine ; mes succès aux yeux de tous, sont la chose la plus naturelle du monde. Amertume du bon élève. ( …) Je ne suis pas très fier des pensées que je pense. Il me faudra beaucoup de temps pour comprendre que l’injustice est encore à mon profit dans ce malheureux partage.

George Duhamel (de l’Académie Française), Vue de la terre promise, chronique des Pasquier,1934, Paris, Mercure de France, pp 93-94.

Cette citation sera donc ici comme une forme d'exergue de ce blog. Je crois qu'étant des sciences historiques les sciences humaines et sociales ne peuvent prétendre au serment en tant que promesse solennelle prononcée en attestant un être ou un objet sacré. Elles en sont rendues à ces exergues qui définissent des éthiques datées dans la vie d'un chercheur et qui peut-être deviennent un texte plus important qu'elles-mêmes lorsqu'elles sont relues ensemble, non pas un serment, mais une promesse tenue.

Pour ceux à qui cela pourrait paraître obscur, c'est dans le temps de la relation avec mes directeurs de thèse Emmanuel Ethis et Jean-Louis Fabiani que j'ai pu comprendre les formes que prennent une éthique de chercheur en sciences sociales : les petites promesses tenues au fur et à mesure. Quant à moi, je suis bien trop jeune dans ma carrière de chercheur pour dire si je tiens mes promesses, mais je me suis amusé à rassembler les exergues de mes écrits universitaires adressés à un jury : maîtrise, DEA, thèse.

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