vendredi, novembre 25, 2011

Nouvelles vagues

Nouvelles vagues

Pour Emmanuel et Jean-Louis,
« Oops, I did it again... »
Britney Spears


« J’ai éprouvé quelques difficultés à faire comprendre à tous qu’il ne s’agissait pas de succéder à Jean Vilar, mais, selon le dernier mot de La Danse de mort de Strindberg, que Vilar le citait dans les moments d’inquiétude, de continuer. »
Paul Puaux1


« Quand je dis « public croyant », je veux dire croyant unanimement à quelque chose et, peut-être, en la vie terrestre de l’homme »
Jean Vilar 2.


«Vilar reste présent sous la forme mythologique : sans le rapport dialectique entre la vérité qui est exprimée sur scène et le réel vécu par le spectateur ("le théâtre doit être le miroir de la société qui est son miroir"), "quelque chose de l'idée du théâtre à Avignon s'effondre." »
Olivier Py3


À la fin des années soixante, Michel Foucault, dans une conférence demeurée célèbre et intitulée « Qu’est-ce qu’un auteur ? 4» propose une thèse selon laquelle l’auteur d’une œuvre serait avant tout une fonction permettant d’organiser des univers de discours. Cette question mérite d’être transposée au regard d’un dispositif, d’une forme comme le Festival d’Avignon au regard même de ses soixante et quelques années d’existence. En effet, si il n’y a pas à proprement parler d’auteur(s) du Festival d’Avignon, son dispositif et sa forme se pérennisent, évoluent et continuent de rencontrer l’adhésion d’un public constitué de festivaliers. Mieux, il semble que se transmet à Avignon, d’une manifestation à l’autre, une détermination à mesurer chacune des éditions à une sorte de mythe originel du festival qu’on pourrait qualifier de « mythe vilarien » d’où se définiraient précisément la forme et le dispositif « Avignon ».
La « fonction-auteur », analysée ici, garantit la transmission d’une réalité suffisante à entretenir le « mythe vilarien ». Dans son ouvrage « Penser la Trivialité5 », Yves Jeanneret souligne le fait que « la figure auctoriale est à la croisée du symbolique, du populaire et du public . Le fait de prétendre à une certaine qualité de publicité joue un rôle déterminant dans la définition d'une figure d'auteur, et elle le fait parce que la catégorie de l'auteur relie une croyance dans la valeur de l'écriture à un motif de la diffusion sociale de l'oeuvre ». La présence, presque mythologique, d'un auteur du festival apparaît en réalité comme une notion fondamentale pour le festivalier. Mise en avant comme une signature et un gage d'authenticité auquel la très grande majorité des festivaliers – même ceux qui n’ont jamais connu Vilar - continuent de se référer pour parler de la manifestation avignonnaise. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir, comme nous l’avons fait, l’ensemble des courriers adressés à la « direction »6 du festival en 2005, alors que la programmation est fortement discutée par les médias. Si on laisse de côté leur contenu et leur humeur, certains courriers qui suivent montrent bien comment s’instaure la tonalité du dialogue entre les festivaliers et le festival, ses sources, son auteur:
Extrait 1/ « Je suis venu au festival la première fois en 1992. Sans invoquer un quelconque âge d’or, il me semble que la direction de l’époque savait bâtir un programme « élitaire ». Pour l’instant, l’inertie joue en votre faveur. Si vous lassez durablement les spectateurs, il sera très difficile de rebâtir quelque chose. Le vieux rêve de Vilar (notre rêve à tous) se sera alors (définitivement ?) envolé.»7.
Extrait 2/ «Sans doute Jan Fabre, l’artiste associé du Festival 2005 a-t-il le talent de faire parler de lui dans Télérama, mais ce prophète sauvage ne nous paraît pas être un auteur de théâtre digne de l’honneur qu’on lui a fait cette année. Transformer les acteurs en pantins dans un spectacle où le texte est remplacé par la nudité cultivée complaisamment dans le sang, l’urine et autres sécrétions, est-ce vraiment un spectacle « populaire », au sens initial du festival ? D’autant que le sang reste superficiel… Je vous propose d’organiser un débat avec votre public pour prendre le pouls de celui-ci. Proposer de nouvelles pistes, mais sans renier les racines et en incitant les festivaliers de « base » à rester ou à revenir.»8.

Entre la 2ème lettre- un festivalier qui déclare avoir vu le Cid dans la Cour d’honneur lors de sa première venue au festival - et la 1ère - un spectateur beaucoup plus « récent » - les similitudes font fonctionner un rappel à l’ordre non pas à un auteur, mais bien à un projet originel du festival. On y parle de « vieux rêve de Vilar », « programme élitaire », « sens initial du festival ». Nous pouvons constater que le mode d’interpellation est conduit à l’aune d' une croyance partagée (et partageable) dudit projet censé avoir constitué une référence commune entre ceux qui écrivent ces lettres et ceux à qui elles sont adressées. « Il y a une légende du Festival d'Avignon, qu'il faut savoir mettre à distance, mais respecter. Le festival des origines a été largement écrit a posteriori, notamment par ceux qui invoquent périodiquement une décadence en se référant à un modèle d'autant plus idéal qu'il est devenu inaccessible 9» (p. 43-44) explique Yves Jeanneret dans son propos sur la cour d'honneur. La légende vilarienne n'est pas seulement l'héritage du festival, elle est, pour les festivaliers, le fondement d'une culture commune. De fait, comprendre la « fonction-auteur » d’Avignon nécessite d’interroger cette croyance au festival et les différents niveaux d’adhésion qu’il implique. C’est ce que nous proposons de faire dans un premier temps. Puis, nous tâcherons de décrire dans ses évolutions le fonctionnement du mythe « Avignon ». Enfin nous analyserons comment Avignon a assigné une place singulière à l’expérience festivalière et comment celle-çi définit ce que signifie « faire le festival ».

Croire ou ne pas croire à « Avignon »

Face à une croyance, et ce qu’elle que soit cette dernière, et face aux moyens dont on dispose pour la décrire, l’orientation de l’observateur est capitale : croit-il ou ne croit-il pas lui-même ? Telle est la question. Comme le rappelle l’historien Paul Veyne, « la réalité est plus forte que toutes les descriptions qu’on peut en donner ; et, il faut avouer que l’atrocité, lorsqu’on la vit dépasse toutes les idées qu’on pouvait sen faire. En revanche, quand il s’agit de valeurs et de croyances, c’est le contraire qui est vrai : la réalité est très inférieure aux représentations qu’elle donne d’elle-même et aux idéaux qu’elle professe ». 10

Le regard posé sur les modalités de croyance au Festival d’Avignon présenté ne s’attachera pas non plus à dénoncer une quelconque « illusion Avignon », mais bien à observer comment fonctionnent ces modalités de croyance. Dès les années cinquante, le critique Morvan Lebesque qualifiait péjorativement les festivaliers de « pélerins ». Encore aujourd'hui, on a pu entendre Fabrice Luchini dénoncer les publics d'Avignon comme étant une « secte11 »Au reste, comme le signale Clément Rosset : « Dans l’illusion, c’est-à-dire la forme la plus courante de mise à l’écart du réel, il n’y a pas à signaler de refus de perception à proprement parler. La chose n’y est pas niée : seulement déplacée, mise ailleurs. Mais, en ce qui concerne l’aptitude à voir, l’illusionné voit, à sa manière, tout aussi clair qu’un autre »12. Cette description de l’illusion par Clément Rosset est similaire à ce que le personnage fantasque de Noelle Renaude, Madame K13, tente d’expliquer à son ophtalmologiste lorsqu’il lui annonce qu’elle est hypermétrope : «Mais, je vous dis que j’y vois très bien ! ». La vision du monde de Madame K n’est pas remise en question par le diagnostic de son médecin. Face à un rappel à l’ordre du corps médical quant à son décalage visuel, elle affirme simplement que son hypermétropie n’entrave en rien la clarté de sa perception.

Le Festival Avignon, lui aussi, peut être lu comme une fable de la démocratisation culturelle : gobée par des crédules et dénoncée comme illusoire par un petit milieu de doctes, mais « Avignon » peut aussi être lu comme une mythologie. Cette dernière lecture est moins pratique et rassurante que la première : elle nécessite des catégories un peu moins claires mais plus descriptives que celles renvoyant face à face des ingénus et des désabusés de la culture. Mais lorsque l’on écoute les récits des différents acteurs qui font ou qui participent au Festival d’Avignon, on pourrait conclure, comme le fait Paul Veyne à propos des grecs et de leurs mythes, à l’existence d’une pluralité de régimes de vérité du Festival d’Avignon. Comme Paul Veyne le fait lorsqu’il se demande à quoi servent les mythes, il faut reconnaître que les régimes de vérité du Festival d’Avignon sont au service des acteurs et des participants à la manifestation qui façonnent ainsi chacun leur récit du festival. Ce récit a posé et pose encore la question de la mémoire, de sa restitution, de sa traduction. Si les enjeux autour de ce récit sont multiples, un se distingue. Des « témoins » des premiers temps, des institutions mémorielles dont s’est doté le festival, de la mairie, du ministère, du « In », du Off, des compagnies, des « lieux », des publics locaux et régionaux, des publics « parisiens », des vieux, des jeunes, des journalistes, des « directeurs »… qui est le plus à même, de faire vivre ce récit ?

-1- Il ne s’agit pas de définir une exclusivité, ou quelque copyright, que ce soit de la parole vilarienne, mais de rappeler qu’en effet, ce récit n’est pas une fable : il a valeur de règle. La règle, ici, n’a certes pas de valeur légale puisqu’elle n’établit pas de sanctions préalablement déterminées à des « fautes » également prédéterminées. La règle prend le sens de l’étalon auquel on choisit de mesurer le renouvellement du projet du Festival d’Avignon.

-2- Il ne s’agit pas non plus de penser à qui appartient le Festival d’Avignon, on entend trop souvent qu’il appartient à tout le monde, or il appartient à ceux qui l’aiment et c’est bien cela le problème. Le festival a bien trop d’amants et de maîtresses pour que nous décidions de la légalité de ces unions. Charmant paradoxe, dès sa création, le festival a été pensé sur le mode de la rupture : ruptures esthétiques avec un rapport à la scène, rupture en repensant une nouvelle relation au public, rupture en réajustant une autre dynamique au territoire… Ainsi, chaque année, comme au carnaval où l’on fait revivre les morts, chacun fait renaître le festival et doit vivre sa rupture avec celui-ci afin de lui être le plus fidèle.

Aussi s’agit-il de se demander comment fonctionne l’énonciation du mythe avignonnais : son interprétation, son appropriation. Ces interrogations posent dans leurs sillages également la question liée à l’attribution et à la reconnaissance de « l’endroit » d'où s’énonce le festival : peut-on voir une tentative de signature du festival dans ce qui est avant tout une incarnation ?

la chorale des ego

Les mythes sont des récits particuliers qui se reconnaissent suivant deux traits : le premier est qu’ils n’ont pas d’auteur à proprement parler ; le second est qu’ils sont souvent l’objet de croyance, sans être forcément sacrés. Les mythes sont souvent vus également comme des idéologies capables d’enjoliver le réel et le rendre désirable. C’est d’ailleurs en ce sens qu'à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, les mythes ont investi tous les domaines de la critique sociale, littéraire et esthétique. Roland Barthes va analyser ces mythes que sont pour lui les publicités pour automobiles, les figures de Marilyn Monroe ou d’Elvis Presley, etc. Ceux-ci sont des mythes au sens ils expriment, à leur manière, les croyances et les aspirations qui composent une part de la panoplie de l’homme moderne : on imagine fort bien ici qu’on pourrait ajouter à cette liste le festival d’Avignon.
Quiconque est venu à « Avignon » perçoit qu’il y a, d’une part, la face événementielle, celle qui caractérise l’événement en train de se produire et, d’autre part, leur face mythique qui charge symboliquement l'évènement. Ces deux faces ne sont pas exclusives, bien au contraire, elles se nourrissent mutuellement.

À Avignon, il n’y a pas d’instance suprême qui régit l’ensemble de la manifestation telle qu’elle apparaît aujourd’hui. En conséquence, chacun peut s’octroyer la possibilité de construire son mythe du festival sans que cela soit officiellement contesté. Ainsi, chaque mythe participe à réajuster une mythologie d’ensemble organisée dans une sorte de grand récit de l’aventure festivalière d’Avignon qui aurait pour mythe originel le mythe vilarien, et qui est donc systématiquement réinterprété par une foule d’héritiers souvent auto-déclarés. Si l’on tente de représenter graphiquement, le fonctionnement d’ « Avignon », on peut observer comment chaque acteur du festival se réfère au mythe des origines pour revendiquer l’authenticité de sa propre version de la manifestation, version justifiée par la position qu’il occupe dans le dispositif général.

Le récit mythologique mobilise le paradigme des mythes du Festival d’Avignon au sein d’une polyphonie syntagmatique plus ou moins harmonieuse. Il y a le mythe originel : les festivaliers réunis en bras de chemise autour d’une manifestation populaire , la scène de la Cour d’Honneur, le Palais des papes, l’équipe du festival ne faisant qu’un derrière Jean Vilar et le « Prince » Gérard Philippe. Le festival des débuts apparaît là comme un Eden à jamais perdu par la faute d’un théâtre perverti, si l’on se place dans une lignée rousseauiste, par les marchands, les parisiens, les avignonnais, les hippies, la faune, les intermittents, Bernard Faivre d’Arcier, André Benedetto, Alain Léonard, Hortense Archambault et Vincent Baudriller...
C’est cette même question de la transmission et de l’appropriation qui taraude la direction de la Maison Jean Vilar14, quand en 2004, ceux-ci décident de présenter une exposition intitulée de manière quelque peu provocante « Vilar, connais pas ! ». L’institution avait là pour projet d’interroger le trajet, la mémoire, la transmission et la connaissance actuelle de Jean Vilar sous la forme de questions très « simples » : A-t-on besoin de connaître Jean Vilar pour pratiquer « Avignon » ? Qu’est-ce que pratiquer « Avignon » en ne connaissant pas Jean Vilar ? Aujourd’hui, ces questions ne sont pas des coquetteries ayant pour simple objectif de démontrer l’importance de « Jean Vilar » dans la vie culturelle française. Au demeurant, l’équipe d’enquêteurs présente à Avignon cette année-là s’est aperçue que même s’ils ne connaissent pas l’œuvre de Jean Vilar, la plupart des spectateurs présents à Avignon en connaissant le nom et que, même si cela était parfois fait très abruptement, ils associaient ce nom à la création du festival et souvent au fait que peut trouver grâce à Vilar un festival « populaire » à Avignon. Ces questions de la connaissance du mythe fondateur concernent, on le voit, les spectateurs présents à Avignon. Et ce sont bien ces questions du mythe qui entraînent dans leurs sillages toutes les autres questions : en tant que spectateur, au-delà de la fréquentation théâtrale, quelle dimension supplémentaire éprouver par sa présence festivalière ? En tant que public, quelle civilité, quel être avec les autres mettre en oeuvre ? En tant que participant à la production du Festival d’Avignon, pourquoi venir « faire » Avignon et pas « Nous n’irons pas à Avignon »15 ? Cette rafale de questions interroge le projet d’ « Avignon » à la fois dans son rapport aux publics mais aussi dans son rapport à la profession. Ne pas connaître Jean Vilar est une chose tout à fait banale pour qui ne vient pas au Festival d’Avignon. De même, cela n’est pas dramatique de venir la première fois au Festival d’Avignon en ne connaissant pas Jean Vilar. En revanche, c’est une autre chose que le fait de venir à « Avignon » ne fasse pas connaître Jean Vilar.


Y aurait-il un art du festival ?

Dans l’introduction de l’ouvrage qu’il consacre à la politique des auteurs de la Nouvelle Vague du cinéma français, Jean-Pierre Esquénazi cite un long extrait de L’ordre du discours de Michel Foucault16 : « Je crois qu’il existe un autre principe de raréfaction du discours […] Il s’agit de l’auteur. L’auteur non pas entendu, bien sûr, comme l’individu parlant qui a prononcé ou écrit un texte, mais l’auteur comme un principe de gouvernement du discours, comme unité et origine de leurs significations, comme foyer de cohérence. […] Tous ces récits, tous ces poèmes, tous ces drames ou comédies qu’on laisse circuler au Moyen-Âge dans un anonymat relatif, voilà qu’on leur demande (et on exige d’eux qu’ils disent) d’où ils viennent, qui les a écrits ; on demande que l’auteur rende compte de l’unité du texte qu’on met sous son nom ; on lui demande de révéler, ou du moins de porter le sens caché qui les traverse ; on lui demande de les articuler, sur sa vie personnelle et sur ces expériences vécues, sur l’histoire réelle qui les a vus naître. L’auteur est ce qui donne à l’inquiétant langage de la fiction, ses unités, ses de cohérence, son insertion dans le réel ». Jean-Pierre Esquénazi poursuit cette citation en rappelant l’intérêt qu’ont eu les nouveaux cinéastes français des années soixante à revendiquer leur statut d’auteur pour exister dans la situation sociale qui était la leur : « L’hypothèse de [son] recueil concerne la possible application de ce que dit Foucault au domaine de la théorie du cinéma. […] Pour les amoureux du cinéma (les cinéphiles), en appeler à l’auteur a été une façon extrêmement efficace de rejoindre le domaine tant convoité de « l’art », tel qu’il a été conçu dans notre ère moderne : un lieu à part, qui justement n’a pas de lieu propre dans la société, mais où se rejoignent les plus sublimes esprits. Le paradoxe est que ces derniers ne parviennent à s’inscrire dans cet espace magique qu’à titre individuel : c’est l’originalité d’une démarche singulière qui leur assure leurs places et leurs situations. Or, la fabrique des films est tellement évidemment un travail collectif, le cinéma si clairement une industrie, que la tâche était difficile pour ceux qui ont voulu proclamer le caractère artistique du cinéma ». Au regard de ce que l’on vient d’énoncer précédemment sur les rhapsodes et le fonctionnement du mythe d’Avignon, on peut sans doute se risquer à transposer les observations faites par Jean-Pierre Esquénazi à propos du cinéma sur le fonctionnement du Festival d’Avignon. On peut ainsi se demander comment est revendiquée, dans la manifestation d’aujourd’hui, une certaine filiation avec l’artiste créateur d’Avignon, Jean Vilar, et comment fonctionne le discours sur l’art alors même que ce n’est plus un artiste qui est à la tête du festival. C'est le poète Vilar, dont le texte originel fait l'objet d'une interprétation qui se situe entre les rhapsodes et les aèdes, et c'est donc dans cet acte d'interprétation que se situe l'auctorialité du Festival. On retrouve ici la structure des horizons d'attentes proposé par Hans Robert Jauss. D'une part, celle de l'oeuvre crée à une époque et d'autre part, l'accumulation des activités interprétatives qui réactualisent l'oeuvre chaque année.

Si l’on regarde à gros traits l’histoire de la place de l’artistique dans le discours de l’organisation du festival « In », on peut remarquer que depuis la « nouvelle direction » de Vincent Baudriller et Hortense Archambault, cette place est affirmée comme centrale dans la définition de la forme festival. Loin de nous l’idée que le Festival d’Avignon ait été dénué, à quelques moments que ce soit, de dimension artistique, mais sa forme même a rarement revendiqué, par le truchement des discours, la place de l’artistique comme primant sur le reste.
On se souvient que Jean Vilar n'a jamais établi sa condition de directeur du Festival d'Avignon sur son statut d'Artiste : c'était lui même. Il appuyait le sens de « sa » direction sur un projet ouvert sur le public qui peut « croire » avec lui à une façon de réfléchir sur son époque et ce grâce au théâtre : « Et quand je dis « public croyant »- déclare Jean Vilar- je veux dire croyant unanimement à quelque chose et, peut être, en la vie terrestre de l'homme. Et cela seul Mais si l'on regarde autour de soi, il n'y a pas de croyance commune. Il y a contradiction. C'est le mal de ce siècle. Si donc il y a division, comment retrouver au théâtre le miroir du temps, la cérémonie et la communion ? » De fait, succéder à Jean Vilar a posé la question de l'artiste à la tête du Festival d'Avignon. Qui pour le remplacer ? On ne remplace pas Jean Vilar, on continue son projet. Et la place de l'artiste reste au cœur des débats quand, en 2011, alors que la direction Vincent Baudriller- Hortense Archambault vient d'être reconduite, le ministre Frédéric Mitterrand annonce son intention de proposer la direction du festival d'Avignon à Olivier Py, alors tout juste débarqué du Théâtre de l'Odéon17.
Depuis 2004, la direction du Festival a mis en place une politique d'artiste associé qui tend à mettre en avant le travail -souvent pluri disciplinaire- d'un artiste, et de lui ouvrir les lieux du Festival. Avec cette politique, le festival met un auteur au cœur de chaque édition en renouvelant, temporairement, sa signature, mais en faisant de la dimension artistique le cœur des débats festivaliers. On voit comment Olivier Py s'inscrit dans cette mythologie lorsqu'il déclare : « Je suis né spirituellement à Avignon, où je suis monté pour la première fois sur scène, en 1985, dans le off. » raconte Olivier Py au Monde18. Depuis Jean Vilar, ce sera peut-être le premier artiste à diriger le Festival d'Avignon. Peut-être devons nous voir l'annonce d'Olivier Py comme une nouvelle vague qui permettra de repenser à la notion de transmission et au fait que Jean Vilar n'a pas trouvé son Prince. Dans la pièce l'Enigme Vilar19, présenté en 2006, le propos était que Vilar n'avait pas trouvé son Prince. Or, peut-être faut il imaginer que ce prince pouvait être Gérard Philippe dont il disait qu'il n'imaginait pas gagner la bataille sans lui20.

Exister dans la généalogie du Festival d'Avignon relève, on le voit, avant tout d'une construction. La transmission, la destination, le « dépositariat » et finalement l'usage d'une place, d'un lieu de parole dans le dispositif « festival » tel qu'il existe à Avignon supposent, on le voit donc, de s'approprier la mythologie avignonnaise, d'y croire, ou du moins de faire croire que l'on y croit de manière à ce que cette mythologie puisse coïncider avec les intérêts que l'on tente de défendre. La volonté de tendre vers une culture commune, qu'elle soit dans une logique de programmation ou dans la mise en avant de l'univers d'un artiste devient alors symptomatique d'une volonté d'unification du Festival : public, acteurs, lieux, territoire, tous sont englobé dans une tornade perpétuelle. Seule la légende Vilarienne, à la fois système de référence et fantôme bienveillant, omniprésente des discours et des envies, demeure dans l'oeil du cyclone, patrimoine inébranlable du Festival qui ne doit pas demeurer figé. Il ne s'agit pas de considérer le Festival comme un musée et de se rappeler des propos de Stig Dagerman qui ne pose pas la question de la nouveauté de la vague mais la participation de celle-ci à un ensemble plus large qui est la mer : « Personne n'a le droit d'exiger de la mer qu'elle porte tous les bateaux ni du vent qu'il gonfle perpétuellement toutes les voiles. 21»


Damien MALINAS
en collaboration avec Stéphanie Pourquier-Jacquin

Aucun commentaire: