mardi, janvier 23, 2007

Procès-verbal de soutenance de la thèse présentée par MONSIEUR DAMIEN MALINAS-VEUX




UNIVERSITE D’AVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE

Procès-verbal de soutenance
de la thèse présentée par
MONSIEUR DAMIEN MALINAS-VEUX

Sous le titre

TRANSMETTRE UNE FOIS ? POUR TOUJOURS ?
PORTRAIT DYNAMIQUE DES FESTIVALIERS D’AVIGNON EN PUBLIC

préparée sous la direction d’Emmanuel ETHIS et Jean-Louis FABIANI

soutenue publiquement le 3 novembre 2006



MEMBRES DU JURY

Jean CAUNE, Professeur des universités émérite, Université de Grenoble 3, Rapporteur
Jean DAVALLON, Professeur des Universités, Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse
Emmanuel ETHIS, Professeur des Universités, Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse, Co-directeur de thèse
Jean-Louis FABIANI, Directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Co-directeur de thèse
Bruno PEQUIGNOT, Professeur des Universités, Université de Paris III, Rapporteur
Helena SANTOS, Professeur, Université de Porto (Portugal), Présidente du Jury
Paul TOLILA, Ministère de la Culture et de la Communication, invité



La présidente du jury, Helena Santos, commence par donner la parole à Damien Malinas-Veux, qui présente ses travaux. Puis la parole est donnée à Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHESS, professeur invité à l’Université Humboldt de Berlin, co-directeur de thèse : « Il est d’usage que le directeur d’une thèse exprime le plaisir qu’il éprouve à voir un travail de longue haleine venir à soutenance. Dans le cas de Damien Malinas-Veux, le sentiment est d’ordre particulier : le candidat est depuis la fin des années quatre-vingt-dix un compagnon de travail dans un dispositif collectif de recherche empirique consacré au Festival d’Avignon : il a publié plusieurs articles cosignés avec ses directeurs de thèse, mais il a été aussi, pendant toute cette période, en apprentissage. La coexistence du collègue, de l’apprenti et de l’ami au sein d’un même personnage aurait pu être complexe. Il n’en a rien été. Damien Malinas-Veux a toujours joué de bonne grâce le rôle de l’apprenti et il a accepté que l’un de ses directeurs de thèse, exerçant à Berlin, adopte quelquefois un style de type prussien qui n’était en fait, il s’en est rapidement aperçu, qu’une ruse pédagogique destinée à clarifier et renforcer l’argumentation très originale de sa thèse. La sévérité méthodologique du directeur de thèse a été récompensée, bien au-delà de ses espérances, puisqu’il a pu lire une contribution vraiment nouvelle à l’analyse des publics, laquelle répond à la fois à l’impératif de « penser par soi-même », exigence d’un ancien professeur de philosophie de l’enseignement secondaire, et à l’impératif, propre aux sciences sociales, qui consiste à utiliser des outils analytiques standardisés permettant l’appariement des contextes et la comparabilité des résultats.

La sociologie des pratiques culturelles à la française, fondée sur une théorie de la domination symbolique, a puissamment orienté pendant près de quarante ans le questionnement des chercheurs. L’usure progressive de ce paradigme a donné lieu au développement de contre-propositions concernant l’omniprésence des « variations individuelles » qui dissolvent le pacte originel qui fonde la sociologie et qui la distinguent, dans la démarcation durkheimienne, d’une psychologie. Le travail de Damien Malinas-Veux refuse simultanément le recours routinisé au paradigme de la domination culturelle et l’abandon en cours de route d’une véritable ambition sociologique. Le fait qu’un spectateur adhère, de façon durable ou éphémère, à un pacte particulier de réception suppose qu’on ne puisse jamais se satisfaire d’une analyse en termes de « collectifs ». Un public singulier n’est jamais une foule, ni une masse. C’est un objet complexe et toujours dynamique dont l’étude a pour objectif d’articuler le niveau de l’engagement individuel et celui de l’émergence d’un collectif particulier et situé dans une histoire. Damien Malinas-Veux construit son objet à partir de quelques schèmes catégoriels que la sociologie des publics aborde rarement en tant que tels. On peut en distinguer quatre principaux :
1. Le premier est celui du récit mythologique, qui « mobilise le paradigme des mythes du festival d’Avignon « au sein d’une polyphonie syntagmatique plus ou moins harmonieuse ». La catégorie du récit mythologique autorise à mettre en relation une sémiologie et une sociologie festivalières. Un tel récit est suffisamment plastique pour faire l’objet de réaménagements permanents, au travers desquels le public, quelle que soit la définition qu’on lui donne, constitue une instance majeure, poursuivant ainsi, sous des formes variées, le geste civique inaugural de Jean Vilar.
2. Le deuxième renvoie à une dynamique de l’événement, hors de laquelle on ne peut comprendre aucune des formes d’engagement, d’attachement ou de retrait.
3. Le troisième schème est celui de l’intermittence de la pratique festivalière, qui fait l’objet du chapitre IV, point nodal de l’analyse puisqu’il redistribue les cartes en portant l’attention sur les « sorties de carrière », alors qu’on se contente ordinairement de mesurer l’intensité et la fréquence des pratiques conçues comme réalités homogènes et indifférentes au cours du temps.
4. Le dernier schème renvoie, sous un angle plus épistémologique, à la problématique de la variation des échelles d’observation, largement importée de la micro-histoire, qui permet de faire jouer l’analyse sur plusieurs plans spatio-temporels et de « contextualiser » en permanence les assertions sociologiques. L’ouvrage contient une très belle réflexion sur le recours au « penser par cas » qui constitue un des outils principaux outils des sciences historiques, mais aussi d’autres savoirs, comme la psychologie et la psychanalyse.

La dimension réflexive, notion aujourd’hui quelque peu galvaudée dans nos disciplines, est en effet toujours présente dans le parcours argumentatif du candidat, et elle donne à la thèse sa tonalité particulière. Damien Malinas-Veux n’en fait pas un élément particulier de son compte rendu de recherche, comme il est fréquent de le voir (des petits chapitres intitulés « moi et ma recherche » ou « mon rapport à l’objet ») mais irrigue l’ensemble de sa problématique de cette préoccupation. Damien Malinas-Veux produit chemin faisant une véritable « enquête sur l’enquête » qui soumet à l’interrogation non seulement les enquêtes précédentes (celles de Janine Larrue et de Nicole Lang, par exemple), ainsi que les études de portée plus générale (Pratiques culturelles des Français, fréquentation des équipements cinématographiques) mais aussi les enquêtes menées collectivement par l’Université d’Avignon. Le lecteur se trouve alors pourvu d’un manuel de l’utilisateur des résultats de l’enquête qui lui permet de saisir en action la nature même de l’opération de recherche (comme en témoigne aussi l’impeccable volume d’annexes) : bien des conclusions péremptoires ou des affirmations purement idéologiques sur les pratiques culturelles sont de ce fait même rendues impossibles, ou sont au moins assignées à résidence. À la différence de Shaggy, évoqué en exergue, le lecteur « ne perd jamais le contrôle » et est conduit à revisiter pour son plus grand profit l’équipement mental de base qui sert de boîte à outils à la sociologie des publics.

Damien Malinas-Veux a pleinement réussi son pari qui consistait à produire un « portrait dynamique » des festivaliers d’Avignon, qui respecte le régime singulier de l’engagement du spectateur (comment s’autoriser d’une « science royale », comme disait Luc Boltanski, qui procéderait autrement ?) et qui permet en même temps une analyse en termes rythmiques des formes de participation et les effets collectifs qu’elles induisent. La question du rythme est une vielle et fondamentale question anthropologique (qu’on pense à Marcel Mauss et aux variations saisonnières des sociétés eskimo). Damien Malinas-Veux la transforme en une question sémio-sociologique qui ouvre de nouvelles voies à l’étude des pratiques culturelles. Le théâtre est aussi, et dans un sens nouveau, un art du temps.

Admirablement servi par une belle rigueur argumentative, illustré par une vaste culture qui va de la philosophie à la bande dessinée, le plus souvent judicieusement mobilisée, ce travail doit être reconnu pour son exigence et son originalité. L’objet central, qui est la transmission, est ainsi clairement distingué des mécanismes de la simple reproduction sociale. La transmission pourrait être considérée, dans un vocabulaire emprunté à Howard Becker, comme une « chaîne de coopération » transgénérationnelle. Cette chaîne peut toujours être rompue : le Festival, comme toute institution sociale, est mortel. Elle peut aussi conduire à des transformations continues qui assignent différents campements nocturnes à l’utopie vilarienne, trouvant des lieux provisoires au non-lieu du théâtre populaire. Transmission ? On finira sur la question de la transmission pédagogique, puisqu’il s’agit aussi, à travers la relation doctorale, d'un style de questionnement et d'un outillage par définition provisoire et évolutif. Jean-Louis Fabiani se réjouit très vivement du fait qu’un enseignement ait été transmis une fois (pour toujours, c’est une autre histoire) et qu’il ait fait l’objet d’une appropriation inventive et rigoureuse, aussi modeste dans l’exposition qu’ambitieuse dans le projet et féconde dans les résultats. Cette thèse réussie est bien à l’image de son auteur, quelqu’un qui sait que penser par soi-même ne revient jamais à propulser son ego au-devant de la scène. Une vraie pensée, et on la rencontre dans ce travail, consiste à exiger un droit d’inventaire sur le travail de la génération précédente. Ce droit a été remarquablement exercé dans un travail exemplaire, dont on peut raisonnablement penser qu’il fera date ».

La Présidente du Jury donne ensuite la parole au second co-directeur de thèse, Emmanuel Ethis, Professeur des Universités à l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, qui tient d’abord à remercier Jean-Louis Fabiani avec qui il a dirigé le travail de Damien Malinas-Veux, un étudiant dont ils ont suivi tous les travaux de recherche depuis la maîtrise faite à l’Université d’Avignon et qui avait pour objet le cadre de pratique défini par le Festival de Cannes ; ils l’ont ensuite co-dirigé sur un DEA à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales portant sur les pratiques cinématographiques des étudiants, avant que de suivre cette thèse sur les publics du Festival d’Avignon, du fait festivalier, de la forme festival et de la problématique de la transmission et de la première fois.

En énonçant ces thèmes et ces terrains, on peut remarquer comment Damien Malinas-Veux a su construire un objet de recherche, certes, mais également une identité de chercheur et d’enseignant, dans la constance renouvelée de préoccupations liées aux publics de la culture saisis au double prisme de la sociologie de la culture et des Sciences de l’Information et de la Communication. Institutionnellement, à la sortie de son DEA, Damien Malinas-Veux a bénéficié d’une allocation de recherche de la Région Provence Alpes Cote d’Azur pour mener son travail, d’un monitorat, puis d’un poste d’ATER à l’Université d’Avignon. Nous lui avions demandé de terminer sa thèse à l’issue de son dernier contrat d’ATER, ce qu’il a fait. Il est important de rappeler son parcours à l’Université d’Avignon car Damien Malinas-Veux a toujours su trouver sa place, mais également a toujours su respecter les contrats que l’on passe avec lui. Contrat en terme de recherche, contrat en terme d’enseignement, mais aussi, les non-dits de ces contrats – on sait depuis Durkheim que tout n’est pas contractuel dans le contrat – et le non-contractuel qu’il faut souligner, c’est la part humaine avec laquelle Damien Malinas-Veux a su conduire son travail, une part discrète, modeste, ce que reflète bien son travail de thèse, mais également une part investie et redoutablement exigeante quant à son investissement institutionnel. Il habite les lieux où il s’installe et donne beaucoup à ces lieux : on lui doit une transformation de la communication du département des Sciences de l’Information et de la Communication, de très nombreuses initiatives dans la direction professionnelle du master Stratégie de développement culturel de ce même département, une participation générale au groupe de réflexion sur le LMD à l’échelle de l’établissement, la mise de l’agenda de l’université d’Avignon, il a également présidé aux beaux jours de l’association étudiante Cinéfils et filles en proposant d’ouvrir le Palais des Papes, puis le Musée Calvet et quelques autres lieux patrimoniaux durant les nuits d’hiver à Avignon, en entraînant avec ses étudiants les Avignonnais cinéphiles, amateurs de De Funes, de Gérard Philipe, d’Hitchcock ou de Jean-Henri Fabre – Fresnais dans de longues et très animées nuits cinématographico-patrimoniales.

Il semblait important de rappeler ce parcours car la thèse qui est présentée par Damien Malinas-Veux est une thèse profondément habitée par toutes ses préoccupations, ce qui lui donne la singularité d’un regard très vivant sur le sujet qu’il développe autour des publics du Festival d’Avignon, et qui amène page après page à réfléchir bien au-delà du « Cas Avignon » tout en permettant de découvrir un nouveau regard sur le public d’Avignon lui-même. Pour le dire autrement, plus on se confronte à la découverte des particularités qui font le public d’Avignon, plus il nous semble mieux comprendre ce que l’on ne faisait qu’esquisser sur nos pratiques culturelles en général. Ce propos est d’autant plus fort qu’il est servi par une écriture souvent ciselée qui va droit au but, même lorsqu’il s’agit d’expliquer des situations aussi complexes que celles liées par exemple aux rites de passage.

L’historien Paul Veyne écrit dans un très beau texte sur l’Individu : « un individu n’est pas une bête dans le troupeau ; c’est au contraire un être qui attache du prix à l’image qu’il a de lui-même. Le souci de cette image peut le pousser à désobéir, à se révolter, mais il peut aussi bien, et même plus souvent, le pousser à désobéir encore davantage ; entendue en ce sens, la notion d’individu ne s’oppose pas du tout à celle de société. On peut dire alors que cet individu est atteint au cœur par la puissance publique lorsqu’il est atteint de son image de soi, dans la relation qu’il a avec lui-même avec la société qui est la sienne ». Cette relation entre individu et société telle que Veyne la décrit ressemble très fortement à celle que l’on retrouve dans ce travail. Les spectateurs d’Avignon s’approprient Avignon en s’appropriant une part de la fonction auteur du Festival et c’est le sens de cette appropriation qui construit l’ensemble de leurs attentes et les placent parfois en situation de conflit entre eux et face à l’institution avignonnaise. Ils ont pour parler comme Veyne un souci de leur image, et pourrait-on dire en allant plus loin de leur image de festivalier et considère que le festival est très dépendant d’eux. On pourrait illustrer cela par ce dialogue entre Charlie Brown et son camarade Linus lorsque ce dernier déclare un jour à Charlie Brown « Je crois que le monde est bien meilleur qu’il y a cinq ans Charlie Brown. – Comment peux-tu dire ça ? lui répond Charlie Brown, Tu ne lis donc jamais les journaux ? Tu n’écoutes jamais la radio ? – Comment oses-tu m’annoncer sans broncher que le monde s’améliore ? Et Linus, de répondre à Charlie Brown en revendiquant le fait de s’affranchir du monde de l’enfance : « J’en fais partie de ce monde maintenant » ». Cette prise de conscience de faire partie d’un monde – en l’occurrence celui du festival d’Avignon - est très dépendante de la manière dont on vit sa première fois ou plus exactement ce que l’on considère réellement comme sa première fois, c’est-à-dire le moment où l’on peut revendiquer le fait d’agir de soi-même. Ainsi, dans cette thèse, une transmission culturelle réussie est-elle avant tout le fait d’avoir reçu les moyens de s’autonomiser, culturellement parlant dans un univers où l’héritage au sens matériel du mot n’existe pas. Dans les trajectoires des festivaliers décrits par Damien Malinas-Veux, dans leur esthétique d’éthique de la première fois, on découvre maintes entrées possibles dans l’univers du festival qui nous obligent, non pas simplement à comprendre, ou à découvrir une analyse de parcours dans le festival, mais à repenser le fait festivalier dans son ensemble. Distanciation au quotidien, conversion, vocation deviennent donc ici des esthétiques d’une pratique dont on perçoit mieux les ressorts et les ressources, les contradictions.

Cette enquête toujours sensible et subtile nous aide à saisir dans son ensemble comment les spectateurs du festival sont amenés à situer chaque festival et à se situer via le festival les uns par rapport aux autres. Ce que l’on aperçoit ici, c’est aussi et surtout la quête et la conviction qui animent chaque spectateur pour prendre position. En revenant vivre Avignon à intervalles régulier, on constate qu’ils viennent également prendre la mesure de leur propre place dans le monde de la culture. En ce sens cette thèse se situe d’emblée dans une approche des dynamiques temporelles qui forgent une pratique. Cette approche nous offre tous les instruments pour réformer de fond en comble les instruments de mesure traditionnels d’évaluation des fréquentations. Cette analyse qui interroge le temps que l’on laisse entre deux moments d’une pratique, en l’occurrence entre deux festivals est une innovation très importante qui mériterait d’être généralisée aux pratiques culturelles apparemment moins observables dans leur rythme que ne l’est la fréquentation festivalière. Et, si plutôt que de se demander à l’avenir dans les questionnaires « combien de fois êtes-vous allé au cinéma depuis un an ? », on pose une question du type « combien de temps laissez-vous entre deux sorties au cinéma ? », ou mieux encore on parvient à formuler une question « au bout de combien de temps le fait de ne pas aller au cinéma commence à vous manquer vraiment ? », alors, on a de fortes chances de dévoiler les rythmes qui guident l’ensemble de nos pratiques et de nos carrières de spectateurs. Il y a là un merveilleux chantier ouvert, un chantier qui nous permet de franchir un pas supplémentaire vers la compréhension des scansions des temps individuels et collectifs. Cette enquête s’est donnée les moyens d’approcher un vaste ensemble qui constitue les parcours des festivaliers mais aussi pleinement ce qui pourrait définir l’écologie du Festival d’Avignon. Cette écologie est d’autant mieux saisissable que l’auteur use d’une belle et utile liberté, rare dans un texte académique, pour convoquer tout un univers de références issues non seulement des sciences sociales et de la philosophie, mais également, du théâtre, de la bande dessinée, du cinéma, de la télévision, de l’art contemporain, ce qui ancre profondément ce travail dans son temps.

Aussi à la manière de Damien Malinas-Veux, on pourrait exprimer le sentiment laissé par sa thèse en convoquant Tintin et son aventure dans l’Île mystérieuse. Dans cet album, Tintin découvre provenant d’une étoile donc, un métal mystérieux, le Calystène (Calystène est aussi l’homonyme phonétique du nom du neveu d’Aristote). Ce métal possède des propriétés imprévisibles et prometteuses puisqu’à son contact les choses peuvent croître à une vitesse inouïe : pépin de pomme devenu pommier le temps de l’écrire, araignée atteignant la taille de l’araignée posée sur la lunette astronomique… Aussi il est souvent arrivé au lecteur de penser qu’il y avait du Calystène dans l’écriture de Damien Malinas-Veux à maints passages de son texte, imprévisible et prometteur, ce qui nous laisse penser que Damien Malinas-Veux a non seulement toutes les qualités d’un enseignant-chercheur, mais que celles-ci sont également habitées de celles d’un penseur.

La parole est ensuite donnée à Jean Caune, Professeur des Universités émérite à l’Université de Grenoble 3. Le premier point que Jean Caune tient à signaler concerne l’ampleur des niveaux d’analyse et la diversité et la richesse des points de vue développés dans ce travail. Ces éléments inscrivent brillamment cette thèse dans deux domaines disciplinaires que Damien Malinas-Veux rend complémentaires : la Sociologie de la culture et les Sciences de l’Information et de la Communication.

Cette articulation ne relève ni d’une juxtaposition ni d’une succession de références ou de notions empruntées à ces deux domaines disciplinaires mais bien d’un travail original qui tisse un dispositif d’enquête spécifique, pour rendre compte d’un dispositif d’organisation et de présentation, lui-même, spécifique, le Festival d’Avignon. Celui-ci ne fait sens, comme le montre la thèse, que saisi dans une histoire et une mémoire collective : cette dernière se manifestant à partir de mémoires singulières.
La thèse se présente, selon Jean Caune, comme une phénoménologie qui construit son objet de connaissance, le public du Festival d’Avignon, à partir de ce qui se manifeste dans une expérience esthétique : celle du spectateur. C’est dire combien le travail de Damien Malinas-Veux échappe au destin qui limite bien souvent les travaux de sociologies des publics qui est de saisir un phénomène culturel ou un processus collectif sans que l’enquête ne se réfère, ou ne convoque, des expériences singulières énoncées à partir de la mémoire ou des effets dans la conscience du sujet. Comment, en effet, un savoir sur l’expérience esthétique, c’est-à-dire un jugement de goût peut-il se constituer sans s’articuler dans et avec les discours des sujets qui éprouvent cette expérience ? La thèse construite par Damien Malinas-Veux consiste à saisir l’identité du Festival d’Avignon par le biais de l’identité des publics et cette dernière est posée comme tissée par des perceptions individuelles ; des mémoires et des traces subjectives inscrites dans un cadre et un contexte de rassemblement dans un espace et un temps déterminé. Cette logique, cette hypothèse théorique, appréhende donc le Festival comme manifestation vécue qui laisse des empreintes dans une conscience et une sensibilité.

Ce qui fait, aux yeux de Jean Caune, l’originalité de ce travail et apporte des acquis théoriques, c’est la compréhension du Festival comme un « fait social total », pour reprendre la référence à Marcel Mauss, qu’évoque Damien Malinas-Veux à la fin de son travail. Le Festival d’Avignon est un ensemble d’événements, de manifestations d’expériences, de dispositifs qui nouent une relation entre, d’une part, la salle et la scène et, d’autre part, des faits de communication et de langage. L’avancée théorique qui en résulte ne procède pas d’une déclaration de principe ou d’intention mais se construit, sans en avoir l’air, à partir d’un travail d’enquête exploité avec beaucoup de finesse et traité avec un grand bonheur d’écriture. La métaphore très judicieuse du « Bateau de Thésée » pour appréhender ce phénomène de d’identité, dont les éléments constitutifs changent, trouve son mode d’emploi réflexif à partir de marqueurs que Jean Caune trouve d’une grande originalité.

Le premier marqueur est celui de la « première fois », telle qu’elle peut être évoquée dans la mémoire et la conscience du spectateur interrogé. D’où la richesse du travail de terrain qui consiste à collecter des énonciations, nécessairement subjectives, de spectateurs qui évoquent la trace de cette « Première fois ». Cette trace peut alors apparaître dans ce processus de conscience qui résulte de l’entretien. L’expérience esthétique du spectateur relève de la conscience d’un être-ensemble dans un temps et un espace qui réunit une “assemblée”, pour reprendre une notion chère à Jean Vilar qui voyait dans la double exigence de « Rassembler » et « d’Unir ». l’objectif du Théâtre populaire. “Rassembler” est ce que réalise la rencontre dans un dispositif théâtral ; “Unir” est le fait de l’esthétique de mise en scène qui permet la communion au sens de partage d’émotions. Le second marqueur de cette identité construite des publics est à chercher dans le sentiment d’appartenance à un « être–ensemble » (p. 54). Nul doute que cet “être-ensemble” qui caractérise l’assemblée théâtrale existe en raison de ce que Marie-José Chénier, ce poète de la Révolution française, appelait « l’électricité du théâtre » qui conduit la circulation des émotions. Pourtant ce sentiment d’appartenance, le temps de la représentation à une assemblée réunie pour partager “ici et maintenant” des émotions, ne suffit pas pour constituer le public du Festival d’Avignon. Encore faut-il que le spectateur revienne pour y rechercher, à nouveau, ce plaisir de la première fois. Et c’est dans le rythme des fréquentations que Damien Malinas-Veux interroge l’expérience spectatorielle.

Ce phénomène de récurrence donne lieu à un troisième marqueur qui est d’une grande richesse : il s’agit d’un objet construit par l’entretien. Le « récit génétique de l’ego » donne lieu à la fabrication d’un « génogramme » : dispositif qui rend compte du phénomène de la transmission telle que l’a vécu le spectateur interrogé. C’est certainement dans cette construction théorique, cet objet de connaissance produit par l’analyse du récit, que se manifeste l’apport de Damien Malinas-Veux du point de vue des Sciences de l’Information et de la Communication en ce qui concerne les pratiques de spectateur. Ces pratiques naissent et se développent en fonction de rencontres, d’influence, d’occasions qui donnent lieu à une transmission. Comme l’écrivait René Char, « notre Héritage n’est précédé d’aucun testament », le poète faisait allusion à l’expérience acquise par ceux qui s’étaient opposés au nazisme durant l’occupation. La transmission telle que l’évoque Damien Malinas-Veux n’est pas la communication d’un contenu, de valeurs ou encore d’un mode d’usage de l’art : la transmission est l’établissement d’une relation intersubjective faite de confiance et de complicité.

En construisant la notion de transmission en examinant « Le festival d’Avignon d’un spectateur », Damien Malinas-Veux opère une inversion. Plutôt que de considérer que le passé produit le présent par un effet d’influence qui déplace et véhicule des contenus, la thèse propose un processus où pour reprendre une citation de Pouillon (p. 331), c’est « le présent qui façonne son passé ». Ce point de vue rappelle celui de l’historien d’art, Michael Baxandall, dans Formes de l’intention, sur l’explication historique des tableaux, qui au lieu de considérer, comme on le fait habituellement, que Cézanne a influencé Picasso, considère que, dans le cubisme, Picasso choisit d’emprunter à Cézanne certaines solutions picturales. En inversant ainsi le processus et en refusant de considérer que le phénomène d’influence artistique se présente sous la forme d’un processus de causalité, Baxandall rend toute sa légitimité à la transmission comme choix intentionnel. Il semble à Jean Caune qu’il en va de même avec l’analyse de la transmission telle que l’envisage Damien Malinas-Veux. La thèse présente la transmission comme un passage, un rite, une relation vivante la notion d’héritier est alors remplacée par celle de récipiendaire.

Pour conclure, Jean Caune tient à signaler combien la réflexion de Damien Malinas-Veux procède par touches successives, avec une légèreté qui tient autant à la diversité des références et à leur usage rayonnant qu’à la qualité de l’écriture.

Bruno Péquignot, Professeur à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, rapporteur prend ensuite la parole : Il félicite tout d’abord le candidat pour cette thèse tout à ait passionnante, écrite avec élégance et surtout originale dans sa facture. Il est rare de trouver un style déjà bien affirmé dans une thèse, style tant de l’écriture que du mode d’exposition de la pensée.
M. Damien Malinas-Veux présente, en vue de l'obtention du titre de Docteur en Sciences de l’information et de la connotation de l’Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse, une thèse intitulée : «Transmettre une fois ? pour toujours ? Portrait dynamique des festivaliers d’Avignon en public.». Cette thèse, de 405 pages, comprend, en outre, une bibliographie bien présentée et un volume de 451 pages d’annexes reprenant les données quantitatives et qualitatives des différentes enquêtes menées par l’auteur pour cette thèse. Notons aussi un souci d’illustration photographique particulièrement réussi.
Cette thèse s’organise en six chapitres. Dans l’introduction, il cherche à cerner ce que « Festival d’Avignon » peut bien vouloir dire et présente les grandes lignes de la thèse. Le premier chapitre aborde le festival par le public et interroge les difficultés d’une enquête sur le public à travers l’analyse de plusieurs débats sociologiques et institutionnels.
Dans le chapitre deux, pour présenter le mode d’investigation choisi dans l’enquête (questionnaires, entretiens, observation directe), l’auteur choisit d’abord de réfléchir à la forme ou au dispositif du festival et de celui d’Avignon en particulier. Ce choix de présentation original permet de bien saisir la spécificité des données recueillies par la singularité du lieu et de l’événement et par l’organisation particulière de l’investigation.
Le chapitre trois, qui clôt cette première partie, cherche à présenter le festival comme une entité particulière, en utilisant la notion d’auteur, telle qu’elle peut être reconstruite à partir de la « politique des auteurs » (Cahiers du Cinéma) et du texte connu de Michel Foucault. Le mythe fondateur et les mythes secondaires contribuent ainsi à forger une représentation du festival, et de son public, tout à fait singulière.
Le chapitre quatre aborde la question du public en reprenant les enquêtes faites, - l’auteur, on le sait y a participé de façon très active et a déjà publié des textes très importants sur cette question -, depuis de nombreuses années dans le cadre du laboratoire d’Avignon. Il interroge les caractéristiques classiques de la notion de public, sa pérennité, ses rythmes de consommation etc. Il faut remarquer la technique très particulière mise en œuvre par M. Damien Malinas-Veux dans sa critique des catégories classificatoires des sociologues et de ce point de vue la réflexion sur les acceptions du terme de « pèlerin » est exemplaire.
Le chapitre cinq traite du public par la question de la « première fois » et l’hypothèse que s’y constituent les prémisses d’une carrière éventuelle de festivalier. L’âge moyen (29 ans) diminue, sans la supprimer, la prégnance familiale, mais bien d’autres facteurs entrent en jeu. Autour de cette première fois se joue la question de la « loyauté » avec ce qu’elle suppose comme « affect » particulier, on peut même envisager de ce point de vue qu’il y ait plusieurs premières fois.
Le chapitre six, qui clôt la thèse, présente la question de la transmission reprenant le titre de la thèse. Il y a transmission certes, mais l’enquête montre que les modes de la transmission sont multiples, parfois niés voire reconstruits. L’auteur forge un instrument d’analyse de cette opération : le génogramme, qui donne des résultats originaux et intéressants.
La conclusion reprend les principaux acquis de la thèse en les synthétisant, l’auteur reprend l’idée de « penser par cas » pour traiter du festival d’Avignon et de son public et s’appuie fort pertinemment sur Mauss.

Bruno Péquignot tient à dire qu’il n’a aucune objection de fond sur la thèse, ce qui est rare, ses remarques sont donc plus des pistes d’approfondissement que des critiques au sens strict : tout d’abord le recours à la théorie de la mémoire de Maurice Halbwachs aurait sans doute permis de mieux comprendre ce qui se joue dans la constitution d’une identité de festivalier et notamment dans la reconstruction de cette mémoire collective à partir du présent de chaque festival, d’autre part, il aurait été intéressant de travailler l’idée de répétition pour penser autrement le rapport à la première fois et aussi peut-être à la sortie du festival, la notion telle que Freud l’a définie pourrait être utile ici.
Bruno Péquignot termine en félicitant le candidat pour la qualité de ses recherches, il souligne que les compétences sociologiques tant théoriques que méthodologiques de M. Damien Malinas-Veux sont remarquables et que cette thèse devrait rapidement devenir une référence dans l’analyse sociologique des publics. Il en souhaite donc une publication rapide.

M. Damien Malinas-Veux lui ayant répondu très complètement, Bruno Péquignot s’en déclare tout à fait satisfait et l’en remercie.

La parole est ensuite passé à Paul Tolila, inspecteur au Ministère de la Culture et de la Communication, responsable de Département des Etudes et de la Prospective de ce même ministère durant la période où Damien Malinas-Veux a effectué son travail de terrain. Paul Tolila tient avant tout à signaler que le travail effectué par Damien Malinas-Veux peut être considéré à juste titre et à plus d’un titre comme remarquable. Il est le résultat d’un long travail d’enquêtes qui s’étalent sur presque dix ans, menées dans le cadre de l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse, et dont l’objet central était l’étude des publics du Festival. À ces enquêtes, Damien Malinas-Veux a apporté ses compétences sociologiques, théoriques et de terrain, son dévouement sans faille dans le temps et l’originalité de sa pensée propre.Autant dire que cette thèse constitue tout à la fois une récapitulation éclairante d’une masse extraordinaire de travaux et de débats, un effort remarquable en termes méthodologiques, une lumière forte projetée sur la question des « publics » du spectacle vivant et, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites, une base solide de contribution à la nécessaire élaboration des politiques publiques dans ce domaine.

Méthodologiquement, Damien Malinas-Veux a délibérément choisi un parti pris déroutant pour les lecteurs habitués aux formes rhétoriques courantes de l’exercice universitaire : on chercherait vainement, dans les centaines de pages qu’il nous livre, la traditionnelle niche où l’ensemble de la problématique est évoquée et les concepts convoqués. La stratégie discursive et théorique adoptée ici vise, au contraire, à restituer les moments de l’enquête, son atmosphère « réelle », ses complexités et son mouvement dynamique. À chaque étape, les outils nécessaires sont justement utilisés, convoqués avec économie, travaillés avec élégance. C’est cela qui « déroute », en fait, c’est à dire le refus jamais dit mais toujours pratiqué d’un dogmatisme facile et d’une forme préétablie de la pensée et de la démonstration. Comment ne pas penser ici aux grands travaux menés dans le domaine de la micro-histoire, aux plus belles réussites de la sociologie quand elle allie aux bases quantifiées une constante itération entre réel construit et hypothèses, ou encore à cette sentence définitive de F.Braudel qui déclarait que « le réel social est beaucoup plus rusé que ce qu’en pensent les amateurs de fiches perforées d’ordinateurs » ? Parvenir à restituer cet espace propre de l’enquête dans un travail parfaitement universitaire et convainquant qui se déroule comme un drame sans cesse « imparfait », où le lecteur assemble peu à peu grâce au chercheur, les pièces d’un puzzle rigoureusement cohérent et finalement totalement lisible, constituait une gageure, un pari théorique et pratique dont Damien Malinas-Veux s’est tiré à merveille. Plus que celui d’un enquêteur ou celui d’un universitaire prétendant au titre de docteur, ce travail est déjà celui d’un « penseur » et d’un penseur qui donne fortement à penser.

Car ce travail touche de façon essentielle le problème central des politiques publiques culturelles. Ces dernières marchent sans cesse sur l’étroite ligne de crête qui départage le domaine de la création et celui des publics ; sans cesse aussi, elles sont guettées par le danger de verser dans une pure stratégie de l’offre tant leur connaissance des publics reste lacunaire ou survolante à trop haute altitude. La croyance aux grandes enquêtes statistiques (qui ont leur nécessité et leur valeur) a trop souvent amené les décideurs à ce qu'on pourrait appeler « l'obsession du 100% » et qui n’est que le symptôme de l’infigurabilité des publics dans une certaine approche de "théologie quantitative ». D’où l’incroyable notion de « non public » assez courante et qui définit bien, jusque dans son absurdité, le mystère de ce qui devrait être, en toute rigueur, une des préoccupations centrales des décideurs.

La thèse de Damien Malinas-Veux renverse totalement cette perspective. Plutôt que de s’user dans un combat douteux contre ce qui ne marche pas, il nous dit que la clef du mystère est sans doute dans ce qui marche et que c’est dans l’étude approfondie des publics réels que résident les éléments de compréhension utiles. Encore faut-il entrer dans la « chair » des publics et non plus se satisfaire de simples pourcentages. En inversant le modèle classique de la pensée des publics, en travaillant sur ce quasi « laboratoire » que constitue le festival d’Avignon dans sa récurrence, cette thèse démontre à quel point l’espace ouvert à de nouveaux questionnements est ouvert dans cette direction. Elle démontre aussi à quel point cette ouverture est utile tant pour la recherche que pour les politiques publiques. En ce sens, le travail de Damien Malinas-Veux fait beaucoup plus que livrer un éclairage sur huit ans d’enquêtes et de travaux, beaucoup plus même que nous fournir une très belle thèse pleine d’intelligence et de plaisir de lire : il ouvre de nouveaux chemins à la pensée productive et pose, peut-être, une des premières pierres d’un édifice futur de l’action et du pilotage culturels.

La présidente lui ayant donné la parole, Jean Davallon, professeur à l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, fait remarquer qu’arriver presque en dernier laisse la liberté de choisir les points à discuter – tout ou presque ayant déjà été dit. Il affirme, bien évidemment, s’associer aux compliments que ses collègues ont formulés avant lui et vouloir s’en tenir à faire un commentaire et à poser quelques questions. Il dit tout d’abord avoir trouvé des échos de l’analyse qui est menée ici sur les festivals et leurs publics avec celle d’un autre monde, à savoir celui du patrimoine. Mêmes questions sur les raisons qui font que les visiteurs reviennent (raisons à chercher à la fois dans le présent et dans une initiation préalable). Même logique de dispositif (il en sera question plus en détail dans quelques instants) pour une de présentation d’un art vivant (le théâtre) ou de productions culturelles anciennes avec l’exposition. Et dans les deux cas, une dimension symbolique faisant des pratiques engendrées (ou associées) à ces dispositifs des rituels.
Il est des thèses qui sont élégantes par la rapidité du trait qui les porte du début à la fin ; d’autres, par la capacité qu’elles ont, au contraire, de retarder le mouvement de la découverte. Celle-ci appartient indiscutablement à la seconde espèce. Cela tient à l’écriture, mais surtout à la manière de construire l’objet de recherche. Le mémoire est monté de telle manière que les aspects méthodologiques sont en quelque sorte disséminés tout au long de l’analyse, donnant priorité à une sorte de phénoménologie. Au fur et à mesure de l’analyse, ce sont plusieurs thèses possibles qui se présentent au lecteur (sur les situations, sur la transmission, sur la spécificité institutionnelle du festival d’Avignon, etc.), mais tous ces éléments vont se mettre en place lorsque in fine la thèse est énoncée. Ce travail est porté par une écriture qui se fait par montage d’éléments hétérogènes jouant sur l’analogie et la métaphore. Cette façon de faire, assez atypique pour une thèse, pourrait aboutir à un tableau lacunaire. Elle est ici plutôt utilisée comme une technique de prélèvement, de « carottage », opéré dans une réalité tout à la fois complexe et singulière. Tout l’édifice repose en effet sur le choix d’entrées pertinentes au regard de ce qui caractérise l’objet étudié (les festivaliers et la forme « festival »). Procédant tout d’abord par abduction, elle s’attache ensuite à vérifier et éclairer afin de documenter les questions à traiter. Elle aboutit alors non pas à traduire une expérience des membres du public, comme on pourrait s’y attendre, mais plutôt à rendre compte du résultat de celle-ci (ce qu’elle produit comme effet, son opérativité, pourrait-on dire) à travers une série de construits individuels et sociaux (d’un côté des types de rapport au festival, de l’autre des dispositifs).
Sur le fond, l’intérêt de la thèse est en effet de considérer « le rapport des festivaliers à » : aux spectacles, à l’institution, aux autres, etc. La chose est patente dans la recherche sur la transmission de la passion de la première fois, sur le pourquoi on devient ou non festivalier. Ce point n’est pas sans évoquer l’étude menée par Hana Gottesdiener pour le DEP sur ce qui fait qu’on devient ou non visiteur de musée qui pourrait faire l’objet d’une comparaison et d’une ouverture bibliographique. L’intérêt de la thèse est aussi de reconnaître l’importance du dispositif et de sortir ainsi d’une approche sociologique uniquement centrée sur les festivaliers ou sur le festival comme institution en prenant en compte ce qu’il y a de plus dans la pratique festivalière que le fait d’aller au théâtre : une mythologie (la construction d’un récit institutionnel) ; de pratiques tenant à la forme plus qu’un contenu ; d’une temporalité, avec le saut (le changement qualitatif de la première fois : « être » festivalier) et la continuité (la transmission ou la carrière).
Dans ce contexte un certain nombre de questions viennent à l’esprit. Jean Davallon propose d’en retenir trois qui sont en lien direct avec le mémoire lui-même et qui sont pour l’essentiel des demandes de précisions. À la fin du mémoire, à propos du mode de vie festivalier, comme manière de pratiquer la culture (p. 405), il est question de « réservoir symbolique ». Que signifie cette expression, ne conviendrait-il pas de parler plutôt de dispositif symbolique ? Est-ce effectivement la dimension de dispositif qui est en jeu ou bien celle des représentations ? La seconde question porte sur le rapport entre don et transmission. Il est question à plusieurs reprises du don (avec une référence à Mauss), mais aussi de transmission (entre générations ou entre festivaliers). Jean Davallon précise que cette question de la présence d’une logique du don dans les pratiques culturelles l’intéresse particulièrement, compte tenu des recherches ce qu’il a lui-même mené sur ce sujet à propos du patrimoine. Il lui semble que don et transmission ne peuvent être assimilés. Il demande à Damien Malinas-Veux de préciser la relation qu’il établit entre les deux. Dans un passage intéressant d’un point de vue méthodologie, lorsqu’il est dit « interroger comment la transmission culturelle est tue, c’est transformer le silence en non-réponse », la transformation en question concerne-t-elle la mise en discours de son expérience par la personne elle-même ou bien l’interprétation que l’enquêteur fait d’un comportement de l’enquêté ? Derrière la méthode (au fond, les deux possibilités sont envisageables), il y a nouveau la question de la manière dont peut être saisie la transmission.
Après avoir entendu les réponses à ces questions, Jean Davallon se déclare satisfait.

Helena Santos, Professeur à l’Université de Porto et Présidente du jury, prend enfin la parole pour réitérer combien la thèse de M. Damien Malinas-Veux présente un travail de qualité remarquable – aussi bien par l'envergure du travail empirique accompli, que par la profondeur et la multiplicité réflexive qu'il révèle. En plus, le mode de présentation, original par rapport au format traditionnel des thèses universitaires, "oblige" le lecteur à une attitude permanente de questionnement et découverte que qu’Helena Santos a trouvé intellectuellement très riche – en vérité une phénoménologie dense, encadrée, originelle, théorique et méthodologiquement plurielle.
C'est dans ce cadre de lecture que la thèse interpelle profondément – un point de départ pour le questionnement dans les sciences humaines, que, Helena Santos en est sûre, le futur prochain permettra de développer dans le cadre de comparaison internationales sur les méthodologies portant sur l’étude des pratiques culturelles. Helena Santos ajoute que la soutenance de Damien Malinas-Veux a parfaitement confirmé le sentiment d’excellence partagé qu’avait offert la lecture de la thèse présentée ce vendredi 3 novembre 2006 : Transmettre une fois ? Pour toujours ? Portrait dynamique des festivaliers d’Avignon en public. En effet, Damien Malinas-Veux a effectué une présentation de son travail subtile et originale et a su répondre aux questions qui lui ont été posées avec précision. Les qualités académiques de chercheur de Damien MALINAS-VEUX ont été unanimement soulignées par l’ensemble des membres du jury.

Après délibération et vote individuel à bulletin secret, tous les membres du jury ont, en conséquence, décidé d’attribuer à Damien Malinas-Veux le Doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication de l’Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse avec la mention très honorable avec félicitations à l’unanimité et préconisent la publication rapide de la thèse de Damien Malinas-Veux.

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